Chapitre VI

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Soudainement, un bruit de branche brisée me tira de mon hébétude.

Effrayée, je me redressai assise d'un tressaillement. Là, à quelques mètres, se tenait un elfe.

Il avait l'air de regretter d'avoir été remarqué et un brin curieux. C'était un homme plutôt grand et élancé, aux traits délicats mais pourtant très masculins, aux longs cheveux blonds, presque argentés, et portait une tenue que j'aurai attribué à un guerrier, simple et propice à la dissimulation et aux mouvements de combat. Dans son dos étaient accrochés un grand arc et un carquois, ainsi que deux dagues entrecroisées, dont je ne voyais que les poignées. Son visage titilla un souvenir dans ma mémoire, sans que je ne puisse le faire ressurgir.

Un brusque accès de honte me saisit, j'étais décoiffée, les joues striées de larmes, ma robe blanche -qui ne m'allait pas du tout- tachée de boue à l'ourlet. Tétanisée, je demeurai figée, appuyée contre mon arbre, le souffle court. Avait-il vu ma sœur et son amoureux ?

L'elfe ne semblait pas me vouloir du mal, m'observant avec une curiosité simple, le visage pourtant impassible. Il n'avait pas l'air d'un assassin en série. Néanmoins, je savais qu'il pouvait me tuer d'un simple geste, comme Ada me l'avait enseigné.

Je me rendis compte que les larmes continuaient à couler sur mes joues, larmes dont je ne connaissais plus l'origine. Était-ce toujours celles de la tristesse et du désespoir, ou bien de terreur ? Je peinais à respirer, adossée à mon arbre comme si je risquais de m'écrouler à tout moment.

- Vous allez bien ?

Sa voix était grave. Il avait parlé en sindarin, langue que j'étais la seule de ma fratrie à comprendre, car mes sœurs n'avaient guère eu le temps de la pratiquer.

Encore tétanisée, je hochai péniblement la tête dans un mouvement mécanique. L'elfe fit un pas.

J'ai alors repris mes esprits, me souvenant brusquement des principes que j'appliquais chaque jour. "Ne montre pas ta peur !"

Je me redressai d'un bond, m'appuyant toujours contre mon arbre. Mes jambes flageolèrent et je dus me retenir à l'écorce avant de m'écrouler. "Idiote !"

L'elfe s'était approché de moi, sans doute pour me prêter assistance, mais je ne le laissais pas avancer.

- Ne me touchez pas ! Laissez-moi, s'il vous plait.

- Vous ne devriez pas vous trouver aussi loin des cavernes.

Bénis soit les Valars ! Il me prenait pour une des siens !

- Je sais, bredouillai-je. Ce n'était pas mon intention.

J'improvisais totalement mes paroles, dans l'espoir qu'il ne se doute de rien. Si lui et son peuple découvraient que moi et mes sœurs nous cachions ici, s'en était fini de nous. Nana avait ordonné de nous mêler aux Hommes...

- J'avais... simplement besoin de solitude, murmurai-je en sindarin.

Aussitôt, mes pensées retournèrent à mes tourments et je sentis de nouvelles larmes dévaler mes joues.

- Vous ne devriez pas pleurer ainsi. Quelle que soit la personne qui cause votre chagrin, elle ne devrait pas mériter vos larmes.

Et si j'étais moi-même cette personne ? Et si j'étais ma propre cage ?

- Ce n'est rien, tentai-je avec un vague sourire. C'est juste... ma sœur. Elle... grandit et... s'en va...

Qu'est-ce qui me poussa à lui raconter cela, je l'ignorais. Et sur le moment, je me serais étranglée moi-même tandis que mon esprit poussait un grand cri de rage : "IDIOTE !".

Un instant de silence passa. Affreusement gênée, j'essuyai mes larmes du revers de la main en riant :

- Je ne sais même pas pourquoi je vous raconte ça. C'est n'importe quoi cette histoire.

- J'imagine que votre sœur est assez grande pour faire ses propres choix.

Il avait parlé avec calme. Son regard, à la fois bleu et pourtant sombre, semblait si sage que j'en fus presque effrayée. Et il avait raison. Ma chère petite sœur aurait toujours besoin de moi, mais l'appui d'une nouvelle personne dans cette spirale qui nous entraînait avec elle ne serait pas de refus.

- Vous avez raison, répondis-je en me relevant. Veuillez m'excuser de m'être retrouvée dans cette situation peu honorable.

L'ombre d'un sourire sembla flotter sur son visage. Se moquait-il de moi ?

- Rentrez chez vous, à présent, me dit-il en s'éloignant d'un pas. Cette forêt n'est pas sûre après la tombée de la nuit.

- Je le sais.

Évidemment que je le savais, on me le répétait depuis mon arrivée au village. L'elfe me lança un regard et je devinais immédiatement ses intentions.

- Je saurais retrouver mon chemin, je vous remercie.

Il ne manquerait plus que je sois obligée de rejoindre les cavernes elfiques ! Qui sait si quelqu'un reconnaissait mon visage ?

- Ne tardez pas, sur ces terres court un grand danger.

Il y avait de l'amertume dans sa voix, comme si la sécurité de la Forêt Noire était son devoir. Et qu'on l'empêchait de l'accomplir.

Je hochai la tête. Après un dernier regard, il s'en fut, plus silencieux qu'une ombre.

Dès qu'il fut hors de vue, je poussai un simple cri de terreur. Et, titubante, je rentrai auprès de mes sœurs.

Au nom des Valars, qu'avais-je fait ?

Publie le 13 avril 2019

Trois paires d'yeux... BleuesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant