Chapitre VIII

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J'avais retrouvé ma robe brune et mes obligations à l'auberge sans grande surprise. Ce soir-là, l'air était lourd et chaud. C'était une soirée que je n'aimais pas.

Il y avait plusieurs jours, plus d'une semaine en tout cas, que j'avais découvert le secret d'Earine. J'ignorais si elle l'avait compris ou non, car elle n'en laissais rien paraître, vaquant à ses occupations comme d'habitude. Je remarquais néanmoins qu'elle semblait un peu plus souriante et enjouée que d'habitude, et qu'elle racontait n'importe quoi, faisant passer des platitudes pour des exploits.

Nessimelle lui lançait des regards tantôt moqueurs, tantôt franchement apitoyés. Quant à moi, j'en venais à me dire que si aimer rendait idiot à ce point, alors je bénissais les Valars que personne ne soit amoureux de moi. Maura, elle, sentait bien qu'il y avait du changement dans l'air, mais elle ne disait rien.

Ainsi donc, ce soir-là était un soir d'affluence, un soir où la salle principale était pleine à craquer et où Earine avait du mal à ne pas heurter les tables en servant les pintes de boissons et les assiettes de nourriture. Au comptoir, je la surveillai du coin d'œil, m'assurant que personne ne lui fasse quoi que ce soit. Nessimelle et Maura étaient à la cuisine, notre patronne jetant tout de même de temps en temps un œil à l'intérieur de la salle.

- On crève de chaud ! Commenta ma sœur en posant son plateau sur le comptoir.

- Oui, acquiescai-je en y posant deux nouvelles pintes. Tu veux qu'on échange de place ?

Je voyais déjà les regards étranges que certains hommes posaient sur ma soeur, aussi l'attirai-je derrière le comptoir sans attendre sa réponse.

- Eh ! Calmes-toi, Laurelin ! Protesta Earine.

- Tu n'as pas le choix, répliquai-je. Je te remplace.

- Mais-

- Laisses tomber, Earine.

Je saisis son plateau et allai aussitôt remplir son travail à sa place. J'avais moins de chances d'avoir un problème, et quand bien même cela m'était un peu égal, du moment que ma sœur était saine et sauve derrière le comptoir. Étrange comme une simple salle d'auberge pouvait devenir un champ de bataille impossible à traverser.

Sans attendre, je m'attelai à ma tâche, servant et déservant les tables. Dieu, que cette soirée se termine, l'air devenait franchement oppressant. Je lançai un regard à mes sœurs qui m'observaient de loin, leur adressait un sourire. Les sourcils de Nessi étaient froncés, les yeux d'Earine brillaient d'un éclat métallique.

Je me rendis compte alors que le silence se faisait lentement sur mon passage, ce qui me déplaisais fortement. Je me dirigeai une nouvelle fois vers une table que je devais servir, lorsqu'on m'attrapa le bras.

Je me retournai, le cœur battant, et découvris un homme avec longue balâfre sur la joue.

- Que fais-tu ici, sorcière ? Me cracha-t-il au visage alors que mon plateau tombait au sol.

Je me débattis, voyant du coin de l'oeil mes sœurs s'approcher. Le silence s'était fait, tous nous observaient en silence.

- Moi j'sais, grinça son voisin de table. C'est une espionne des elfes. Elle vient pour nous voler !

Des exclamations retentirent de toutes parts, visiblement, chacun y croyait. Je tentai une nouvelle fois de me dégager alors que l'homme serrait mon bras à m'en faire des bleus.

- Eh Maura, dit-il à ma patronne qui était sortie à son tour, t'es au courant que t'héberges chez toi des espionnes et putains ? Dit-il d'un ton venimeux en désignant Earine du regard, puis moi.

Mon sang ne fit qu'un tour. Il osait... Il osait insulter ma sœur !

Avant que je n'ai eu le temps de comprendre quoi que ce soit, un poing s'abattait sur son nez. Alors que je voyais le sang couler, je me rendis compte que c'était moi qui vait fait ça. Et je ne ressentais que de la fureur, une fureur dévorante.

- Chienne ! Brailla l'homme, le nez en sang.

Il s'apprêtait à se jeter sur moi lorsque, d'un mouvement souple que je ne contrôlai pas, je ramassai mon plateau que je lui abattait sur le crâne. Il s'écroula sur la table, me lâchant du même coup.

Le souffle court, je jetai un regard à mes sœurs qui s'étaient approchées. Leurs visages ne respiraient que fureur et terreur.

C'est alors que je le vis. Assis au bord du feu, le visage caché par son capuchon, un homme observait la scène sans même bouger. Dans l'ombre de son capuchon, je vis briller ses deux yeux.

Il était revenu. L'homme aux yeux d'or. L'assassin de mes parents.

Publié le 1 juin 2019

Trois paires d'yeux... BleuesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant