Il y eut un instant où mon esprit sembla se déconnecter du monde réel. Immédiatement, je compris qi'il avait pris l'initiative de m'éloigner de ma plus grande source de terreur. Je dus me faire violence pour remettre les pieds sur terre.
Jamais, dans toute ma vie, je n'avais eu aussi peur. Même lors de ma fuite avec mes sœurs, même lors de ma rencontre avec l'elfe, je n'avais eu aussi peur. Tout cela me paraissait bien paisible à côté de ce que je ressentais à l'instant. Je crus que j'allais mourir sur place tant mon cœur battait vite.
L'homme aux yeux d'or avait perçu mon regard et n'esquissait pas un geste.
Tout se passa alors au ralenti. Je fis volte-face et saisissai mes sœurs par le bras, les entraînant vers la cuisine. Elles suivirent le mouvement sans comprendre, alors que les hommes se mettaient à hurler face à nous.
Retroussant ses jupes, Earine escalada une table pour aller plus vite alors que je poussai Nessimelle devant moi. Nous traversâmes la cuisine à grand bruit sans ralentir et nous jetèrent dehors, nos jupes nous ralentissant quelque peu.
Mes sœurs ne se souvenaient pas de l'homme aux yeux d'or. Elles étaient trop jeunes et trop chamboulées pour avoir mémorisé cette soirée. Mais, pour notre propre sécurité, j'en avais dessiné chaque instant dans ma mémoire. Et je me souvenais parfaitement de lui.
Nous nous précipitâmes dans la nuit, courant à perdre haleine.
- À la forêt, vite ! Hurlai-je.
- Mais-
- Vite ! Ils n'oseront pas nous suivre là-bas !
J'entendais qu'on se lançait à notre poursuite à grands cris. Je voyais déjà la lumière de leurs torches, prêts à nous ôter la vie et jeter nos corps au fond d'une mare.
Mes sœurs couraient plus vite que moi depuis toujours, je trainais, ralentie. Sans attendre, nous dénouâmes nos tabliers blancs qui tombèrent dans l'herbe de la prairie que nous traversions. Et au-delà, la forêt.
Je n'avais jamais vu de visages aussi déterminés que ceux de mes sœurs à cet instant. Une main dans le dos de Nessi, Earine courait, le regard fixé sur notre seul échappatoire, la mâchoire serrée.
Nous courûmes à toute vitesse, commençant à distancer nos poursuivants. Mais je savais que cela n'arrêterait pas l'homme aux yeux d'or. La seule chose qui pouvait nous protéger, ce n'était pas la forêt en elle-même, mais plutôt ceux qui y vivaient. J'espérais juste que l'amoureux d'Earine l'aimait assez pour lancer son peuple à son secours.
Nous nous jetèrent entre les arbres plongés dans l'obscurité, courant toujours à perdre haleine.
- Ils devraient nous protéger ! Lança Earine.
- La forêt ne prend pas partie, grondai-je. Elle n'est là que pour observer, rester neutre. Elle ne se rangera pas à nos cotés.
Nous continuâmes de courir toujours plus vite, entre les grands arbres noirs qui jetaient sur nous leurs ombres lugubres. Ma robe se déchirait dans les ronces, mes cheveux se prenaient dans les branches.
- On peut s'arrêter, non ? Demanda Nessi.
- Non ! Hurlai-je, m'attirant les regards étonnés de mes sœurs. Les elfes, il faut trouver les elfes ! Vite !
- Mais Nana a dit que-
- J'en fais mon affaire.
C'était Earine qui avait parlé. Avant que je n'ai eu le temps de comprendre ce qui se passait, elle s'arrêta.
- Qu'est-ce que tu fais ? Lançai-je.
- J'ai une idée de génie !
Et sans attendre, elle se mit à grimper à l'arbre.
- Dépêchez-vous ! Suivez-moi !
J'échangeai un regard incrédule avec ma benjamine avant de suivre l'exemple d'Earine en escaladant l'arbre. Bien plus haut que ceux de l'orée de la forêt, il se dressait droit vers le ciel, et je commençais à me sentir mal lorsque nous émergeâmes à l'air libre. La lune était cachée par des nuages cette nuit-là, ajoutant un poids supplémentaire à mon angoisse.
- Et maintenant, que fait-on ? Demandai-je en examinant l'état déplorable de ma robe.
Earine m'adressa un sourire.
- Tu te souviens quand on courait sur les pierres ? Tu disais que c'était facile. Eh bien c'est pareil.
Avais-je rêvé ? Ma sœur venait-elle de proposer l'impossible ?
- N'y penses même pas. Et si on tombe ?
- Tu es une elfe. Tu ne tomberas pas. On n'a pas d'autres choix. Nessi...
Avant que je n'ai pu prononcer un mot, mes deux sœurs s'élançaient en sautant de branches en branches tels deux chats. Je déglutis. Bon sang...
Et, poussant un cri de terreur, je courrai à mon tour, sautant sur les branches comme si elles avaient été les pierres d'un ruisseau. Earine avait raison, notre légèreté elfique me permit de garder mon équilibre alors que nous courions sur les arbres. Sur les arbres, vraiment.
Ils nous avaient retrouvées. La chasse avait commencée.
Publié le 1 juin 2019
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Trois paires d'yeux... Bleues
Fanfic"Je marche dans la nuit. J'ai froid et j'ai faim. Dans mes bras dort ma petite sœur, si petite et si fragile que j'ai peur de la briser. Elle est plongée dans le sommeil, tout comme mon autre sœur, sanglée dans mon dos. Elle aussi s'est endormie, ap...