Chapitre XV

573 61 10
                                    

J'étais seule face à lui, bien droite et le menton levé, m'efforçant difficilement de garder un visage impassible, ce qui était quasiment impossible. Pour éviter que ce soit visible, j'avais joint mes mains tremblantes devant moi, les serrant à m'en briser les doigts.

J'étais terriffiée et le savais. J'avais toujours été facilement nerveuse et cette fois-ci ne déroguait pas à la règle. Prenant une profonde inspiration, je pensai à mes sœurs, faisant apparaître leurs visages dans mon esprit, et me sentis plus forte. Je détendis les épaules, redressai mon dos et me donnait un air assuré.

Car l'assurance, ce n'était pas ce qui manquait au roi Thranduil. Il était plus jeune que dans mes souvenirs, mais c'était parce que j'avais moi-même grandi. Grand, blond comme son fils, une couronne semblable à des branches scindaient son front et il était était vêtu d'argent, ses yeux étaient de glace, il dégageait une majesté écrasante. Malgré son air nonchalant, je n'étais pas stupide ; chaque pas, chaque regard, chaque mouvement était fait pour intimider, impressionner.

En un sens, il ressemblait à son fils, mais le prince avait un air plus bienveillant et ne semblait pas vouloir intimider qui que ce soit. Rien que pour ça, il remontait dans mon estime.

- J'imagine que vous avez dû être ramenée des cavernes de Mandos avec vos deux sœurs pour réapparaître aussi soudainement.

- Je ne crois pas, Votre Majesté, répondis-je de ma voix la plus calme. À vrai dire, j'ignorais qu'on nous avait déclarées mortes. Mais je l'espérais grandement.

Je n'ajoutai rien. Je n'étais pas stupide au point de lui offrir ce que je savais sur un plateau d'argent tout en sachant que chaque parole qui sortait de ma bouche pourrait être utilisée contre moi. Il me prenait pour une gamine sortie de nulle part qui n'avait aucune expérience diplomatique, je devais le lui laisser croire avant de frapper un bon coup.

- L'assassinat de vos parents et de vous et vos sœurs avait grandement ébranlé tous les peuples elfiques. Il me semble même qu'une statue de votre famille est exposée à Fondcombe pour honorer sa mémoire, dit le roi d'un air nonchalant.

Une statue de nous ? Sûr que ça plairait à Earine.

- Votre retour est... un mystère.

Il n'avait pas utilisé le mot "miracle". Nous lui posions problème. Mais comment ?

- Nous sommes parvenues à nous enfuir, répondis-je.

Le roi haussa un sourcil.

- Seules ? Alors que vous n'aviez qu'une vingtaine d'années ? Vous deviez donc avoir un procédé particulièrement efficace pour que les assassins de vos parents perdent votre trace.

Il se doutait de quelque chose. Et jamais, au grand jamais, je ne lui révélerais Mon Secret. Le roi était loin d'être stupide, il me soupçonnait.

- Les Valars semblaient être avec nous cette nuit-là, répondis-je. Je ne les remercierais jamais assez d'avoir en quelques sortes couvert notre fuite dans la forêt.

Pauvre cruche. Je jouais les quiches naïves, trop sotte pour comprendre ses sous-entendus. Et l'éclat d'agacement que je vis passer des ses yeux faillit me faire sourire.

- J'imagine que vous ne connaissez pas les rumeurs à propos de votre disparition, dit-il en me tournant le dos en faisant quelques pas.

Il me rappelait ainsi l'endroit dans lequel j'avais grandi, et la position dans laquelle je me trouvais.

- Non, en effet. La communication dans notre village n'était pas tout à fait au point.

Il voulait jouer ? Moi aussi.

- On raconte que vos parents avaient découvert quelque chose. Quelque chose qui aurait attisé la convoitise de ceux qui les ont tués.

Je déglutis. Cette conversation prenait un tour que je n'appréciais pas du tout.

- Je ne vois pas de quoi vous parlez. Nous avions fuit les renégats qui avaient juré de nous tuer par tout les moyens, comme vous le savez, crachais-je.

- En effet.

Silence. Un léger bruit dans mon dos se fit entendre, mais moi seule le remarqua. Et je savais mieux que personne ce qu'il signifiait. Mes deux jeunes sœurs écoutaient notre entretien sans y avoir été conviées, et je ne pouvais pas les renvoyer sans leur attirer les foudres du roi Thranduil.

Elles ne devaient pas savoir. Je me mis aussitôt à continuer en sindarin :

- Et le royaume ? Que s'est-il passé ?

Cette question me brûlait les lèvres depuis ma rencontre avec le prince. D'un coup, toute cette vie que j'avais laissée derrière nous m'était revenue au visage comme un ouragan. Je ne pouvais pas rester dans l'ignorance.

- Eh bien... commença lentement le roi, le trône a été repris.

Mon sang se glaça dans mes veines.

- Par qui ?

- Le conseiller de votre père, bien sûr. Je crains que la nouvelle de votre retour ne lui fasse guère plaisir.

Je grimaçais.

- Le royaume tout entier a sombré dans le désastre, n'est-ce pas ?

Le roi ne répondit pas. Silence. J'hésitais un long moment.

- Savez-vous...

Thranduil se tourna vers moi, me dominant de toute sa hauteur. Ce fut avec difficulté que je ne flanchais pas.

- Ceux qui ont tués nos parents nous ont retrouvés...

Le roi fit quelques pas vers moi, son attention éveillée. Je dus réprimer un mouvement de recul.

- Continuez, articula-t-il en voyant que j'hésitais.

- Ils sont aux portes de votre royaume, soufflais-je.

Il se redressa de toute sa hauteur, me toisant avec dédain.

- Dans ce cas, vous devez nous quitter.

Je restais sans voix.

- Je vous demande pardon ?

- Je ne prendrais pas le risque de mettre mon peuple en danger pour la survie d'une seule petite Elfe, une princesse déchue qui plus est.

Voilà qu'il m'insultait ! Je dressais le menton.

- Je ne suis peut-être pas une souveraine que les âges ont emplie de sagesse, mais j'ai moi aussi la responsabilité d'un peuple sur les épaules. Je comprend votre décision, mais n'oubliez pas que si ma propre vie m'importe peu, je porte avec moi celles de mes sœurs. Et je ne laisserais personne, pas même vous, les mettre en danger.

N'attendant pas sa réaction, je le saluais rapidement et tournais les talons, mettant un terme à notre entrevue. Mes sœurs, ne comprenant pas notre conversation, avaient depuis longtemps quitté les lieux.

Nous devions partir de ces cavernes, et nous nous ferions tuer par l'assassin de nos parents.

Sauf si je le tuais la première.

Publié le 11 août 2019

Trois paires d'yeux... BleuesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant