Chapitre 12

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Elle passa outre leur dédain et soutint le regard de chacune d'entre elles, réussissant même parfois à faire baisser les yeux de certaines. Elle avait acquis la légitimité de sa présence ici et savait qu'elle n'avait aucune raison d'avoir honte de sa condition. Elle avait beau être de basse extraction, Aïla avait raison, elle portait les espoirs et les attentes du peuples sur ses épaules.

Elle détailla leur tenue et dût fournir un effort pour ne rien laisser paraître du dégoût qu'elles lui inspirèrent. Elles étaient certes magnifiquement apprêtées, mais elle comprit alors ce que Jamal avait voulu dire quand il avait insinué qu'elle aurait pu profiter de la situation dans l'objectif de le séduire. La plupart auraient pu venir nues, cela n'aurait pas changé grand-chose. Leur robe était si transparente et si décolletée qu'elle se demandait si ce petit bout de tissu pouvait être considéré comme un vêtement. Elles étaient outrageusement maquillées et leur parfum était si fort qu'elle maîtrisa à grande peine son haut-le-cœur.

Après l'avoir prise de haut, aucune ne voulut lui adresser la parole. Mais elle s'en fichait, ne souhaitant pas non plus apprendre à les connaître. Elles étaient de toute façon bien trop différentes pour qu'elle espère trouver ne serait-ce qu'un sujet de conversation sur lequel elles seraient susceptibles de converser. Elle resta donc assise sur sa chaise, le dos droit, observant ce qui l'entourait, écoutant d'une oreille discrète les discussions des unes et des autres, dont elle était le sujet principal, se retenant de rire face aux remarques quelque peu surprenantes qu'elle entendait.

Elles désespéraient de comprendre ce qu'elle faisait là, alors qu'elle n'était qu'une pouilleuse sans prestigieuse ascendance. Elles s'interrogeaient aussi sur la raison de son absence de la veille. La première hypothèse était qu'elle était malade, ce qui provoqua une réaction immédiate chez ses voisines les plus proches qui se décalèrent prestement d'elle afin d'éviter un contact éventuel avec elle. La seconde qu'elle avait été obligée de venir à pied, ce qui, venant de leurs bouches, sortait comme une insulte. Une multitude de théories, toutes plus farfelues les unes que les autres, commencèrent à éclore autour d'elle.

Elle n'avait qu'une envie leur signaler qu'elle avait beau ne pas être noble, elle n'était ni sourde ni stupide et qu'elle les entendait parfaitement. Et si leur curiosité était si grande, qu'elles lui posent directement la question. Elle abandonna son espionnage quand elle entendit que si elle avait réussi à venir ici, c'était sans doute parce qu'elle était une sorcière et qu'elle avait dû donner un philtre d'amour au roi afin qu'il tombe sous son charme. Arrivée à ce stade, elle ignorait si elle devait rire de leur imagination ou pleurer face à leur naïveté. Elle souffla à cause de leur stupidité car décidément, le pedigree ne faisait pas l'intelligence.

Quand Jamal fut annoncé, le silence se fit instantanément et vingt-quatre paires d'yeux féminins se braquèrent sur lui. Elles se levèrent comme une seule femme et s'inclinèrent respectueusement devant lui. Il était vêtu de son habit traditionnel, une tunique de couleur rouge sertie de liserés d'or et un turban de la même couleur sur la tête. Il avança lentement jusqu'à son siège, qui trônait en bout de table, provoquant des soupirs d'adoration sur son passage. Il s'assied à sa place, lançant ainsi le début du repas.

Les jacasseries reprirent avec entrain et les voix stridentes de ses compagnes de tablée lui donnèrent déjà la migraine. Elles cherchèrent à attirer son attention, à l'aide de minauderies exagérées ou en exposant de manière évidente leurs atouts. Il était dégoûté de la façon dont elles lui vendaient leurs corps. Il se sentait insulté et son honneur bafoué. Pensaient-elles réellement qu'il allait les choisir uniquement pour leur plastique avantageuse ? D'autant qu'aucune ne le faisait vibrer. 

Aucune, excepté Leïla. Il la chercha au milieu la foule et la trouva à l'extrême opposé de sa personne. Il en fut déçu, même s'il n'en fut pas surpris, connaissant l'étiquette du palais. Il regrettait son odeur naturelle, vierge de parfum, qui aurait apaisée son odorat saturé par les fragrances agressives de ses voisines. Elle était intéressante et intelligente et ils auraient pu débattre ensemble des questions politiques sur lesquelles il butait depuis le matin.

T01-L'intrépideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant