Chapitre 38 : à la bombe

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Grey

Au sommet de la tour vitrée, que j'ai bâti à la sueur de mes méninges, mettant mon parrain à sa tête pour le contrôler dans l'ombre, je surplombe l'immensité de la ville de Chicago, là où la vue est imprenable. J'ai les mains dans les poches de mon pantalon, et je me tiens devant la baie vitrée comme un putain de débile. Mais j'aime bien regarder dans le vide, et me perdre dans mes pensées. Après la conversation que je viens d'avoir avec K.J, mon humeur a quelque peu dévié de ma passivité habituelle, celle que je tente de garder à toute épreuve. Ça me gonfle qu'elle arrive à jouer aussi facilement avec mes nerfs, par sa simple répartie. Pourtant, je ne peux pas m'empêcher de ressentir une pointe d'excitation quant à la tournure des évènements. Je me prépare et me délecte d'avance de ce qui va suivre et cela ressemble beaucoup à une traque des plus mémorables. Un jeu auquel j'aime m'adonner, face à mes ennemis. Mais la personne que je dois traquer cette fois, n'est en rien une menace à mes yeux, simplement un obstacle à passer de la plus drôle des manières.

—  On a retrouvé sa voiture, mais elle n'était pas dedans, et...

—  Je sais, j'interromps Dereck qui est entré dans mon bureau sans demander la permission.

Je me détourne de la vue de la ville et me tourne vers mon interlocuteur.

Dereck harque un sourcil sceptique, se demandant comment j'ai pu le savoir puisqu'il est le premier à être venu me voir après avoir perdu la trace de K.J. Il n'a qu'à réfléchir deux minutes.

—  J'ai communiqué avec elle, j'ajoute pour lui faciliter la tâche. J'ai piraté sa voiture et elle m'a laissé un petit mot assez intéressant.

Je me tourne vers Dereck, un fin sourire malicieux m'accompagnant. Je sais, je souris. Mais c'est parce que je m'apprête à partir à la chasse et ma proie me sous-estime ce qui rend la partie d'autant plus intéressante.

—  Elle souhaite apparemment à ce qu'on ne fasse de mal à aucun de ses proches, sinon elle emporte le code dans sa tombe. C'est surprenant, mais j'aime beaucoup l'idée, j'ajoute sous le regard interloqué de mon ami.

Il est confus, et même après tous ces moments à m'observer pour essayer de me déchiffrer, il ne doit pas me reconnaître. Depuis que je me suis mis à la poursuite de K.J, j'ai des réactions aux antipodes de ma personnalité, et j'agis parfois de façon déraisonnable. Je suis en train de changer et je ne sais pas si j'aime la personne que je deviens à cause d'elle.

—  Qu'est-ce qu'on fait, maintenant ?

—  Utilisez tous les moyens disponibles pour la traquer, je ne veux pas la perdre de vue. Elle pourrait rencontrer certaines personnes sur sa route et ça serait déplaisant.

—  On la laisse aller jusqu'à Washington sans rien faire ? s'interroge Dereck.

—  Bien sûr, si ça l'amuse. Elle nous mène à la bombe et on la récupère avant qu'elle ne fasse une bêtise.

—  Bien, je préviens nos hommes.

Sur le point de franchir la porte du bureau, Dereck se ravise, l'air de réfléchir. Il doit surement vouloir me poser une question qui taraudait dans son esprit, depuis longtemps, et qu'il se doit de poser.

—  Euh, Grey tu es sûr que ça va en ce moment ?

Sa question ne me surprend pas, mais j'avoue que je ne m'attendais pas à ce qu'il soit si direct.

—  J'ai l'air d'aller mal, selon toi ?

J'essaye de répondre de manière évasive pour dévier du sujet. Je ne vais commencer à lui parler sentiment et état d'âme.

—  Non, justement, au contraire. Tu n'as plus cette expression torturée sur le visage comme si tu portais le poids du monde sur tes épaules et que tu étais le seul à pouvoir tout arranger, explique-t-il d'une traite. Tu sembles plutôt... Je n'irais pas jusqu'à dire, heureux. Enfin bref, tu as l'air plus apaisé, moins sur les nerfs.

D'un mouvement lent, je penche la tête sur le côté, en scrutant mon ami d'un air curieux. Et je comprend bien rapidement que Dereck est un peu plus sérieux quant à ses propos peu courants. Depuis aussi loin que je m'en souvienne, on évite de parler de ce genre de sujet sensible, premièrement parce que c'est gênant et deuxièmement parce que lorsque l'un d'entre nous va vraiment mal on n'a pas besoin de mots pour régler ce qu'on a sur le cœur. Notre présence et nos actions sont suffisants pour nous sortir de n'importe quelle situation sombre dans laquelle on peut se trouver.

—  Tu en avais gros sur le cœur.

—  Ouais, il dit dans un rire nerveux. C'est juste que je trouve ça bien de te voir sourire parfois, parce que tu t'amuses.

Tu ne crois pas si bien dire. peut-être que ça m'amuse de jouer avec la petite lycéenne, mais ce désir malsain de vouloir la manipuler et de prendre le temps de lui torturer l'esprit au lieu de prendre le code par la force me fait perdre du temps. Pourtant, je n'arrête pas ma machinerie, elle est lancée et j'ai bien l'impression de devoir aller jusqu'au bout si je veux assouvir ce besoin presque obsessionnel que j'ai, de vouloir détruire cette version faiblarde, pleurnicheuse bien que têtue de la gamine, pour pouvoir un jour la façonner comme je le souhaite.

Remarquant que je ne compte pas répondre à sa remarque, Dereck se reprend, évitant de peu de se flanquer une claque monumentale pour la connerie qu'il vient de dire.

—  Merde, jure-t-il. Je deviens comme Aaron à dire de stupides mots doux. C'est glauque.

—  Eh bien, tu peux t'arrêter là. Va bosser, je ne te paie pas à glander.

— Tu ne me paies pas, rétorque-t-il.

Je lui lance un regard lourd de sens pour lui sommer de foutre le camp, mais Dereck s'empresse de chasser d'un revers de la main.

—  Ouais, je sais, je me sers dans nos fonds. Mais tu sais qu'il faut qu'on parle officiellement de mon contrat à Herrera corporation.

—  Tu ne fous rien ici, j'objecte.

En tout cas, rien d'officiel pour le moment.

Le grand brun ne relève pas ma réponse et continue ses allégations, dans un sérieux des plus admirables.

—  Directeur général, c'est un bon poste, non ?

—  Dereck, dégage !

Il prend la porte non sans m'avoir lancé un dernier sourire moqueur, avant de m'empresser de lui lancer un livre qui ne l'atteint malheureusement pas, parce que la porte s'est refermée.

—  Manqué, j'entend Dereck prononcer de l'autre côté.

Heureusement pour toi.

À nouveau seul dans l'immensité de mon bureau, je m'installe sur mon fauteuil en vrai cuir italien, magnifique au touché et encore plus confortable posé dessus. Devant moi, se trouvent plusieurs dossiers à traiter concernant mes nouvelles fonctions en tant que directeur d'Herrera corporation. Cependant, ce n'est pas le travail que je veux traiter en priorité. Je me livre plutôt à la confection du plan du projet de toute une vie, mon jardin d'Eden. Je suis plus ou moins proche de mon but, car j'ai tout orchestré aux millimètres près. Néanmoins, une ombre règne encore au tableau et ce n'est pas le refus d'obtempérer de K.J, non, c'est l'homme que j'ai fui des années auparavant. Mon père.

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The Cube - Tome 1 et 2 TerminéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant