L'echo de nos coeurs

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Mon cœur est enseveli sous la neige, blanche, froide, humide. Cette épaisse couche lumineuse et compacte me maintient en vie, à l'abri des autres, des regards, des jugements. Je n'ai plus la force de me battre et je sens ces quelques gouttes d'eau qui tombent sur mon visage. Est-ce les larmes de cette carapace qui ne tient plus ? Est-ce le signe que l'on va percer à jour cette tristesse que je garde pour moi depuis tant de temps ? Je sens qu'elle se craque, le bruit de la neige qui s'effondre sous son propre poids, prête à dévaler, telle une avalanche sur ceux que j'essaye de protéger depuis si longtemps.

Cette année est plus spéciale que les autres, parce que tu n'es plus là pour me guider. Tu as toujours été exigeant, mais si bienveillant. Pourtant, tu as perdu la bataille contre la mort. Mais je ne t'en veux pas, on la perdra tous un jour...

Fêter Noël sans toi, faire comme si de rien n'était, comme si on s'était tous habitué à ton absence. Je les entends déjà « Lara, pourquoi est-ce que tu fais cette tête ? Opa te manque ? » et je me vois déjà me terrer dans mon silence, dans mon abri sous la neige.

Je m'attèle à la mise en place des décorations, j'allume toutes ces lumières avec ce sentiment partagé de magie et de manque. Je branche la prise et j'actionne l'interrupteur et soudain, le sapin s'illumine de milles feux. Ce feu intérieur reprit quelques forces, reprit espoir en un avenir meilleur. Mais le gouffre immense près duquel je perdais souvent équilibre était prêt à m'happer. L'obscurité et les ténèbres avaient été un drôle de réconfort ces derniers temps. Je n'avais pas eu besoin de m'expliquer, de me battre ou de décrire cette souffrance. J'avais su cacher à tout le monde derrière une cascade de mensonge que la vie continuait, que j'allais bien, que j'avais réussi à rebondir. Mais qui, aussi fort puisse-t-il être, peut rebondir quand il s'enfonce dans la neige ?

Ma mère mit son bras autour de moi, je l'accueillais avec beaucoup de tendresse. J'ai posé ma tête sur son épaule. Mes yeux reflètent la douce lumière orangée de notre sapin de Noël. Je sens les larmes monter ce qui me force à me libérer de son étreinte et à remonter dans ma chambre. Je monte lentement les marches unes à unes, comme si je grimpais péniblement le pan d'une montagne. Je sens le froid s'engouffrer dans mon cœur, je sens que chaque pas est plus difficile, que je me sens être engloutie de plus en plus dans la mélancolie. Pourquoi est-ce que je n'arrive pas à faire mon deuil ?

Je me retrouve face à mon lit et je me laisse simplement m'effondrer sur ma couette. J'avais cette impression de tomber dans un épais nuage, un peu doux, un peu réconfortant, un peu chaud. Chacun de mes bras recroquevilla la couette sur moi. A nouveau, me voilà protégée de l'extérieur. Cette douce chaleur qui émane de mon corps et qui reste confinée à l'intérieur de mes draps me laisse plonger dans une longue réminiscence de tous ces moments que nous avions vécus ensemble, Opa...

Après de longues minutes, où je me suis souvenue de ces balades dans la forêt, dans la montagne, de ce petit chalet dans lequel tu vivais, j'ai eu envie de t'y retrouver. Je me suis libérée des couches superficielles qui m'enveloppaient et je me suis dirigée vers ma garde-robe. Dans un excès de colère que je ne comprenais pas, j'ai jeté mes affaires au sol, jusqu'à retomber sur des vêtements suffisamment chauds. Je me suis apprêtée au plus vite, mon bonnet blanc, mon écharpe de la même couleur, mes moufles, ma veste rose, mes boots d'hiver pour être prête à affronter le grand froid.

J'ai ouvert la porte de notre maison, le vent soufflait déjà fort, la neige tombait abondamment. Mon premier pas fit craqueler la neige sous la pression de mon pied droit. J'ai redressé ma tête pour admirer le paysage montagnard que j'aime tant. J'ai serré bien fort mon écharpe avant de continuer mon chemin. Les mains dans les poches, toutes ces images continuaient à fuser sans que je puisse les arrêter. Mon regard lourd tombait aussi fort dans le sol que mes pieds dans la neige. Un regard vide et pourtant rempli de sens. Le chemin qui mène jusqu'à ton chalet, dans lequel nous n'allons plus si souvent n'est pas fort praticable à pied vu le temps, mais je me convaincs d'y aller, de persévérer.

Recueil de nouvelles | 2018 à 2020Où les histoires vivent. Découvrez maintenant