Pour que le blizzard cesse

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Bonjour, ou peut-être bonsoir Père Noël. Du haut de mes 25 balais, je t'adresse ces quelques mots, ces quelques maux. En effet, ça fait déjà de nombreuses années que je ne t'écris plus. A partir d'un certain âge, la magie n'opère plus comme elle le faisait auparavant. L'innocence, les étoiles dans les yeux, j'ignore à quel moment tout cela a basculé, où cet émerveillement du monde s'est éteint. J'ai cette impression de me trouver face à un immense conifère, bordé de toutes ces lumières de toutes les couleurs et que, petit à petit, elles se sont toutes éteintes me laissant seul. Je me sens perdu dans le noir porté par l'ombre de ce grand sapin qu'est le monde d'aujourd'hui.

Père Noël, ma petite âme d'enfant est matraquée par ces images, cette vidéo. Le monde dans lequel on vit se détériore, le monde dans lequel on vit tombe dans l'exagération, le monde dans lequel on vit est une honte pour nos parents et nos ancêtres. Comment sommes-nous censés perpétuer ta magie si notre si beau sapin voit ses lumières s'éteindre les unes après les autres ? L'obscurité gagne du terrain pour d'obscures raisons... A vouloir faire régner l'ordre sans savoir pourquoi, on finit par faire gagner la terreur. Tu te demandes sûrement où je veux en venir, d'où me viennent ces mots, ces maux ?

Toi qui nous regardes tous les jours, omnipotent et omniprésent, tu as certainement constaté cette colère qui gronde face à ces injustices. Tu as sûrement remarqué ces mouvements citoyens qui se multiplient face à un système qui ne les sert plus, face à des situations urgentes qui ne sont pas prises en main, face à des politiques incapables de comprendre la douleur des parents qui ne peuvent pas offrir le meilleur à leurs enfants. Cette boule au ventre, cette incompréhension, ces larmes qui menacent de s'écouler de mes yeux, il n'y a plus que l'espoir de jours meilleurs qui font barrage.

Pour mieux comprendre mes mots, mes maux, je dois tout te remettre en contexte. Aujourd'hui, une vidéo m'a glacé le sang, m'a mis extrêmement en colère, j'étais au bord des larmes. Sans doute la vidéo de trop... Ces derniers temps, la révolte gronde, elle semble plus forte que jamais. Les étudiants se réunissaient pour une manifestation. Ils ne sont pas armés, si ce n'est que de leurs slogans et de leurs mains pour manifester leurs désaccords brandissant un majeur levé fièrement au ciel.

Face à eux, la représentation de la haute autorité, armés de matraque, de divers engins de dispersions, de bouclier, de casque, comme s'ils partaient en guerre. Ils exécutent des ordres, ils tentent de faire régner l'ordre. Je les vois entourer un gamin, réfractaire à cet ordre, usant des mots et de son index pour les invectiver. Mais qu'est-ce que des mots faces à ces matraques qui s'abattront sur lui ? Cher Père Noël, voici l'horreur d'un rapport de force perdu d'avance pour ces jeunes présents pour défendre leurs idées, leur idéal, leurs rêves d'un monde meilleur, d'un monde plus équilibré.

Plus le temps passe, plus j'ai froid, Père Noël...

Je les vois foncer vers ce rassemblement étudiant tabassant une jeune étudiante comme pour la forcer à s'écarter. Je les vois jeter des lacrymo pour embrouiller la vue de cette jeunesse qui ne veut pas subir, qui ne veut pas accepter qu'on leur vole leur futur, qu'une génération supplémentaire soit sacrifiée aux dépends de quelques personnes hauts-placées. Comment leur en vouloir si ce n'est que lorsque ces jeunes saccagent et qu'ils font preuve de violence, évidemment. Mais n'est-on pas entrain de se perdre, Père Noël ? Ne serait-il pas bon de savoir d'où vient cette colère qui se généralise ? Le dialogue rompu, les promesses en l'air, l'effondrement de toute une classe sociale, à genoux, portant avec les dernières forces qui leur restent, les tout puissants qui ont la tête perchée dans les nuages.

Le vent souffle, la neige est de saison, la froideur d'une autorité toute puissante face à des cris de détresse me glace le sang. Et je m'imagine ces jeunes, parfois presque âgés de la moitié de mon âge et qui, pourtant, symbolisent le courage politique. Bien sûr, il est sans doute un peu turbulant, mais il est aussi criant de vérité et de sincérité. Ils décident de choisir et de mener leurs combats, ils sont sensibilisés à cet appel de toute une partie de la planète, de ce cri silencieux de parents qui se crèvent au travail, de ces larmes cachées avec honte dans les coins des salles de bain, de ces idées noires qui sont nourries par le désespoir. Père Noël, j'ai de plus en plus froid et le blizzard ne cesse de s'intensifier.

Recueil de nouvelles | 2018 à 2020Où les histoires vivent. Découvrez maintenant