Battements d'un cœur gelé

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L'hiver règne en cette période de l'année. Le blizzard s'est levé de si bon matin. Skadi l'entend, d'une oreille attentive. Recroquevillée sous une couverture déchirée, le froid des pierres de la caverne l'empêche de dormir davantage. Elle tente de se réchauffer en glissant frénétiquement ses mains contre son corps engourdi. La nuit a été longue, les heures de sommeil très courtes et le froid de l'hiver intense. Les bouts de ses membres peuvent en témoigner, ses doigts commencent à gagner une couleur légèrement mauve, signe que la saison est entrée à son apogée.

Son ventre rugit l'obligeant à se réveiller quelques minutes plus tard. La faim est le pire des ennemis. Elle sent des courbatures dans tout son corps, et plus fortes encore au niveau de son estomac. Cela fait déjà une journée et demi qu'elle n'a plus rien mangé. Le brouillard glacial repousse les créatures vivantes, la plupart d'ailleurs sont certainement en train d'hiberner, à l'abri des regards et des prédateurs. Les chances pour s'alimenter sont très faibles, elle le sait, plus que personne.

Skadi, autrefois déesse nordique de l'Hiver, a perdu son rang lorsque les Hommes ont cessé de croire en elle. Les Anciens Dieux, c'est ainsi qu'ils sont surnommés, ont retrouvés leurs attributs humains, bien que l'immortalité du temps ne puisse être inversé. Déchue, elle n'a eu d'autre choix que de se battre pour la vie, de vaincre ses peurs, de prouver qu'elle mérite sa place de Déesse.

Pourtant, la réalité lui est très vite revenue. Dans le nord, le soleil du jour est une aubaine, la nuit est une fausse amie. Skadi était vénérée par les chasseurs nordiques, elle qui leur offrait fortune lorsque les humains devaient trouver de la nourriture pour leur clan. Très rarement, elle avait pris l'habitude d'apparaître dans les rêves de ces chasseurs, leur conférant ce pouvoir d'acuité pour savoir où chasser le lendemain. Skadi était une déesse aimante, pas une de ces divinités qui se croyaient tout permis. C'est sans aucun doute son caractère qui l'a mené à sa perte.

Elle se redresse, astique ses vêtements pour enlever la poussière, lisse sa tunique avant d'enfiler ses vêtements d'hiver. Une tunique en fourrure d'ours blanc, qu'elle a trouvé gisant à l'orée d'une clairière, un long manteau bleu avec des cornes de cerfs qui pointent vers le ciel, une ceinture en cuir avec un fourreau pour son couteau de chasse. Elle met ses gants et enroule une écharpe blanche autour de son cou, tissée lors d'une des plus longues nuits de cet hiver, mais peut-être n'y en aura-t-il pas d'autres...

Elle s'empare de son carquois et de ses flèches, qu'elle range avec minutie à l'intérieur. Elle tasse les quelques braises encore fumantes et plonge son regard vers l'entrée de la caverne. Le temps est grisâtre, la neige tombe abondamment et le vent ne semble pas se calmer.

Un temps à rester à l'abri du froid polaire, mais la jeune femme ne l'entend pas de cette oreille, ou plutôt, de son estomac, lui qui rumine à nouveau. Elle pose sa main sur son ventre, comme pour essayer de calmer ses maux. Un geste inutile mais symbolique. Elle se remémore ces hivers où ses fidèles tombaient les uns après les autres, où la famine ravageait les clans, ces moments où même ses interventions divines ne pouvaient rien contre la destinée céleste... Son regard océan se fige dans le sol, ces souvenirs la bousculent, la remuent. Les traits de son visage et de sa bouche tombent sous la force de la tristesse.

Ses doigts se glissent dans ses cheveux aux couleurs de la neige. D'un mouvement habituel, elle renoue quelques mèches à gauche pour former une tresse. Elle renouvelle le geste avec une partie de ses cheveux sur la droite. Elle passe son index sur les lèvres de sa bouche, ces dernières lui font atrocement mal. Elle se rappelle la couleur bleutée qui avait pris le dessus sur la sainte couleur rouge. Son corps faiblit, elle le sent et ce n'est pas le froid qui l'aidera.

Elle ouvre une petite boite où une lotion bleu marine git à l'intérieur. Son index et son majeur s'y enfoncent et elle les effleure sur le haut de son front à droite de bas en haut, jusqu'à son sourcil, de manière à former deux lignes droites parallèles. Elle répète le mouvement en dessous de son œil droit jusqu'à ce que son index rejoigne le bout de son lobe d'oreille. Elle repose le couvercle du récipient métallique pour le refermer, puis le glisse dans la poche de son manteau.

Recueil de nouvelles | 2018 à 2020Où les histoires vivent. Découvrez maintenant