Âme Vagabonde

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Perdue dans un rêve, c'est un peu l'impression que j'ai pour l'instant. C'est étrange. J'ai l'air suspendue au-dessus de mon corps. Ma vue est un peu trouble et il y a cette lumière blanche si forte sur les côtés qui m'aveugle. Je vois mon corps étendu sur le sol près du passage pour piéton. Mon dieu, j'ai l'air d'être dans un sale état...

Le conducteur du camion sort de son véhicule et se rue vers moi. Les passants se sont rapprochés. Le chahut m'entoure et les voix se mêlent les unes aux autres. Je n'arrive pas à distinguer ce qui se dit. Je vois des index pointés à gauche. Une personne prend son téléphone et compose le numéro d'urgence. La plupart des gens ont la main devant leur bouche. Tout cela ne me dit rien qui vaille... Je ne sais pas ce qui se passe, ma pensée semble se déconnecter petit à petit. Ma connexion avec mon passé semble se troubler également. Le flou m'entoure d'un voile de plus en plus opaque.

Mes yeux sont lourds. Les voix qui raisonnaient dans ma tête commencent à faiblir. Je voudrais y retourner, mais j'ai cette impression de glisser dans le vide. J'ai ce sentiment qu'il trop tôt pour partir, trop tôt pour s'arrêter de vivre. Le silence me prend à la gorge. Où sont toutes ces tonalités qui m'habitaient, il y a quelques instants ?

Le jour s'éteint lentement. La nuit est au bout de la route. Je cours, je n'entends plus rien. Ce chemin me semble interminable. Chaque pas est instable. Au loin, je distingue l'encadrement bleu d'une porte. Elle m'appelle ? Je ne sais pas, mais j'ai une envie irrésistible de plonger la tête la première dans cette porte. Que m'arrive-t-il ? Est-ce la fin de mon histoire ? J'avais un peu peur de voir à quoi ressemblerait la mort. Mais ce n'est pas si différent de la vie. On court sans cesse vers cet objectif lointain, qu'on surnomme le bonheur. Je passe ma main sur ma poitrine et je me rends compte qu'au fond, le bonheur était là, juste là. Le rayon immaculé venant de cette mystérieuse porte m'intrigue. Je sens que je me rapproche. Je tends les mains, avec cette peur au ventre : vais-je disparaître ?

Mon corps tremble, plus j'avance et plus il se désagrège. Les vibrations de mes pensées s'atténuent. Ma voix intérieure, elle commence à s'éteindre, je le sens. Il faut que je me délivre de ces ténèbres qui m'entourent. Je dois atteindre... cette porte. Je dois... atteindre. Je dois. Je...

* * * * * *

Je voulais voir ce que demain pouvait me réserver. Lorsque j'ai traversé cette porte, dans un élan spirituel intense, mon corps tout entier s'est brisé. J'ai attendu le retour de ma conscience. Et petit à petit, j'ai repris vie. Sans le savoir, dans ce corps étranger. De petites pattes, des longues moustaches, des yeux qui peuvent voir dans la nuit, j'étais devenue un petit chat. J'espérais qu'il y aurait quelque chose, après la mort... J'ai ma réponse. La réincarnation, c'est ça qui m'attendait.

Ma conscience humaine est encore présente. J'arrive encore à ressentir l'environnement autour de moi, mais je sens bien que mes instincts primitifs et reptiliens sont beaucoup plus forts. Je n'arrive pas à contrôler totalement mon corps. Mes envies me sont dictées par la nécessité de boire, de manger, de chasser et aussi de chercher les câlins de ma maitresse.

* * * * * *

Je ne pensais pas retrouver ma vie dans le corps d'un félin. Pourtant, quelle joie de retrouver ses sensations et ses émotions. Je n'oublierais jamais celle ressentie lorsque j'ai vu cet enfant s'émerveiller lorsque je suis arrivée, confinée dans cette boite en carton. Un lien s'était intimement créé entre ma maitresse et moi. En quelques mois, je me sentais à nouveau heureuse. En plus, nous étions vraiment inséparables. Du moins, c'est ce que je pensais.

Le destin est parfois cruel ou tragique, allez savoir le terme exact ? Après une année et demie, ils ont décidé de partir en vacances pendant un mois dans un hôtel de luxe à l'étranger. Cependant, les animaux y étaient interdits. Sans que je ne comprenne tout de suite, je me suis retrouvée seule sur le bord d'une autoroute. Mes sens en alerte, je n'ai pas compris pas où je me situais, où ils étaient partis. La peur s'est emparée de moi, je tentais de comprendre ce qui se passait. Mon corps bougeait tout seul, sans que je puisse lui commander d'être prudent, d'être calme. Abandonnée à mon triste sort, je n'ai pas tenu très longtemps avant qu'un camion ne me percute. Le destin est parfois cynique...

Recueil de nouvelles | 2018 à 2020Où les histoires vivent. Découvrez maintenant