Cric Crac

4 2 0
                                    

« Cric~ Crac~ »

Mes ongles enfoncés dans ma peau, comme si j'essayais de me sentir vivre à nouveau. Les feuilles des arbres tombent formant un tapis végétal aux nuances orangées allant même jusqu'au rouge. Ce dernier amortit mes pas. Les yeux rivés vers ce ciel qui ne m'a jamais accordé le moindre répit, j'ignore pourquoi il se moque de moi. Le ciel est dégagé, le soleil chatouille ma peau et la rosée du matin s'évapore dans un brouillard presque transparent. À part le bruit du vent dans les branches mortes des arbres, le silence de la forêt noue mon estomac. Mon étoile est morte depuis longtemps. Les sentiers s'apparentent à des chemins qui mènent nulle part et partout à la fois. Dans la confusion totale, mon corps avachis par les années d'exil, je quitte mon abri pour chercher un peu de réconfort dans ce monde qui hurle que je ne fais pas partie des leurs. Ma magie se confond à des chaines qui se fixent dans la terre, à un fardeau qui affaisse mes épaules toujours plus bas. Ce don devenu malheur, me rappelant chaque jour que je suis une abomination, une erreur. Je marche lentement pour éviter de trébucher. Je marche longuement pour éviter le bûcher.

« Cric~ Crac~ »

Mes os craquent, comme ceux d'une vieille carcasse. Depuis combien de temps j'erre ? Additionnons mes cicatrices : douze. Douze ans. Pourquoi je fuis ? On pourrait me demander d'où me viennent ces traces blanches indélébiles sur ma peau ? Le miracle d'être ressortie de l'eau, cela a été ma sentence. J'ai cru qu'on me lâcherait, qu'on viendrait plutôt chercher mes bénédictions pour que je puisse continuer à sauver le monde. Mais on m'a chassée, pourchassée. Seule. Les mystères de la Vie se sont révélés à tous et j'ai eu l'impression d'être cette tâche que l'on ne peut pas supporter, que l'on doit effacer à tout prix. Un univers sombre, une poursuite qui ne cesse pas. Mes cheveux avec tant de fourches. Je ne saurais pas compter ni le nombre de mes pas, ni celui de tous ces paysans brandissant leurs fourches.

« Cric~ Crac~ »

Les yeux fermés, les oreilles closes, les mains brandies vers le ciel, j'apprivoise les éléments pour qu'ils me viennent en aide. Les racines sortent de la terre dans un craquement du sol qui résonne aux alentours. L'air plein les narines, les rayons du soleil disparaissent sous une nuée de nuages. La Nature m'appartient, les éléments me reviennent et vibrent. Le feu, l'eau, la terre, l'air. Rien ni personne ne pourra résister à mon ultime furie. Surtout pas eux... Mais ? Qu'est-ce que... Que m'arrive-t-il ? Pourquoi est-ce que j'agis ainsi ? Moi qui m'étais jurée de ne jamais laisser la colère prendre le pas sur ma magie. La haine, elle te dévore... La jalousie, elle floue tout... Les regrets, ils sont éternels... Trop de cris dans ma tête ! Trop de hurlements dans mon cœur ! Ces présences qui me suivent, qui m'épient, elles me rendent folle...

« Cric~ Crac~ »

Je suis fatiguée, je suis épuisée. Ces Hommes qui me poursuivent, ces gens qui ne comprennent pas ce que je suis, ce que je veux faire... rien. En un battement de cils, la fièvre me gagne. Les ombres se multiplient dans la tempête. L'odeur du tonnerre s'engouffre dans les alentours. Mon rêve divin de retrouver ma liberté se cristallise dans mes larmes. Les rayons lumineux des torches me blessent. Ils indiquent où je me cache, cette lumière de l'élément du feu qui me trahit. Mère Nature ne viendra pas. Elle n'en a que faire de ses enfants. Mère Nature ne me sauvera pas. Sinon elle l'aurait fait en me libérant de cette magie, de ce pacte avec Satan. L'orage me dévoile, mes yeux brillent et l'onde lumineuse se propage. Le ciel, sombre allié, m'a trahi, lui aussi, avec ses éclairs blancs qui parcourent les cieux orageux... Tristesse.

« Cric~ Crac~ »

Le bruit d'une clé dans la serrure d'une prison. Son regard azur, son sang qui parcourt ses veines bleues dans son poignet, sa main. Mon dernier souvenir d'un être humain ? Vais-je finir ici, à mourir, à m'affamer ? Le Soir s'invite lentement. Je me sens vieille. Je me sens seule...

« Cric~ Crac~ »

La chaleur fait remonter ces lucioles orangées vers le ciel. Il est bleu, il est beau. Si j'avais su, je me serais aventurée vers le Nord, là où le soleil se fait discret, là où les nuages auraient pu me sauver. La voix des corbeaux accompagne mon agonie. Le craquement des bûches sous la puissance des flammes est ma seule compagnie. Je n'entends même pas le hurlement et les cris de joies qui m'entourent. Voici les braises qui chatouillent mes doigts de pieds. Voici ce rituel qui a permis milles meurtres. Les voilà les longs cris qui vont accompagner mes sanglots. L'ardeur de cet enfer va renverser l'ordre des choses. L'Enfer va me récupérer, moi, chose difforme, monstre inquiétant. Tourbillons de flammes, feu furieux qui accompagne ma fin de vie. Ils voulaient ma tête, ils voulaient en finir avec mon espèce, ils réclamaient le sang, sans jamais avoir pris le temps de me consulter. Flammes dorées qui brûlent mon corps. Mon esprit divague. Le peuple est en joie et me fixe de leurs regards ardents. Je me demande si ce n'est pas leur jugement qui m'irradie plus encore que ce bûcher sur lequel je vais partir en fumée... Je lève les yeux vers cette immensité bleutée. Mon réconfort c'est que je vais rejoindre Mère Nature. Une rafale. Une nuée d'oiseaux. De la fumée orangée, légèrement noircie. Je vais rejoindre l'esprit de mes Sœurs, quitter l'obscur, en finir avec l'impur.

Sècheresse mystique.

Flammes rousses.

Je m'envole.

~

Recueil de nouvelles | 2018 à 2020Où les histoires vivent. Découvrez maintenant