L'eau n'oublie pas son chemin

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Une ruelle sombre, éclairée par quelques lampadaires lors d'une nuit d'été. Sous la lumière d'un de ces réverbères, une femme âgée était fixée à la même position depuis plusieurs minutes. Le regard tourné vers l'éclairage public, il semblait être vide, perdu. Elle scrutait les insectes qui dansaient autour de la vive source de lumière.

Ses prunelles noisettes se focalisaient sur le halo lumineux attirant toutes les formes de vie alentours. Le ciel s'était assombri entre temps et le vent se levait lentement. Une première goutte tomba sur le front de la vieille dame, puis une seconde. Machinalement, elle sortit un mouchoir de la poche de son imperméable beige pour s'essuyer les perles d'eau qui commençaient à glisser le long de son visage.

La lanière de son manteau gisait au sol et la brise légère la faisait virevolter au grès du vent. Par dessous, une robe de nuit, blanche avec des motifs à fleurs. Elle rangea son mouchoir alors que la pluie commençait à tomber de plus belle. Sa coiffure aux cheveux bouclés poivre et sel se défaisaient au fur et à mesure que l'intensité de l'averse augmentait. Son imperméable devenait de plus en plus foncé par la force de l'eau.

Les flaques se formaient petit à petit alors que la grand-mère restait les yeux rivés vers le lampadaire clignotant de temps à autres, sans doute à cause d'un faux contact. La pluie perlait également sur le bout de ses doigts fripés. A son poignet gauche, un bracelet médical. On pouvait y lire « Géraldine Delaroche » écrit à l'encre bleu sur une étiquette collée au bracelet bleu ciel.

Totalement insensible, une scène identique à l'eau coulant le long d'un rocher, solidement installé dans le chemin d'une rivière. Géraldine semblait obnubilée par la quintessence de la lueur émise par le lampadaire. Elle y trouvait réconfort, elle y trouvait une chaleur, elle y retrouvait des souvenirs lointains.

Un peu plus loin, derrière une haie de lauriers, à la fenêtre, une petite fille observait cette scène inhabituelle. Les bras croisés contre le rebord de sa chambre, la tête posée par-dessus, elle voyait cette femme figée comme du marbre. Les yeux verts de la jeune enfant analysaient chaque seconde qui passait depuis que la vitre de sa fenêtre était couverte de gouttelettes.

La blondinette surprit dans le reflet de sa fenêtre une ombre imposante à travers l'encadrement de la porte. Elle se retourna, fit un grand sourire et l'invita à venir voir en pointant son petit doigt vers l'extérieur de la maison. Intrigué, l'adulte s'avança et remarqua Géraldine patientant sous la pluie battante. Interloquée, l'adulte posa sa main contre la vitre pour avancer sa tête un peu plus près, comme pour être certaine de ce qu'elle était en train de voir.

- « Tu vois Maman, la drôle de madame est revenue, elle attend encore que la lumière s'éteigne ! » raconta innocemment la jeune enfant en pinçant le gilet de sa mère.

- « Nom de... Ne bouge pas ma chérie, je dois passer un coup de fil. » s'empressa de répondre la maman de la petite fille en posant sa main sur sa tête.

Quelques minutes plus tard, la jeune femme déposa le combiné, folle furieuse. Elle s'empressa d'enfiler un manteau et sorti un parapluie d'une armoire qui se trouvait dans l'entrée. Elle se précipita dehors. Ses pas claquaient dans les flaques d'eau devant sa maison. Elle poussa la grille devant sa demeure pour se diriger près de la vieille dame. Elle ouvrit son parapluie pour qu'elles puissent être toutes deux protégées de l'averse.

Géraldine ne bougeait plus, la tête toujours tournée vers le haut. La jeune femme resta à ses côtés sans dire un mot. Mais le silence occupé par la symphonie de l'eau tombant au sol fut soudainement interrompu par la plus âgée.

- « Bonsoir Mademoiselle »

- « Bonsoir Madame » répondit la plus jeune qui avait fini par imiter son ainée en regardant le lampadaire si lumineux.

Recueil de nouvelles | 2018 à 2020Où les histoires vivent. Découvrez maintenant