Iris

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J'avais des fêlures profondes, des sillons dans la peau devenus canyons. À y regarder de plus près, tu pourrais même y plonger. Après tout, ils avaient vu déferler des rivières de larmes, des océans dans lesquels je m'étais noyé.

J'étais seul au monde, dans ma bulle. Je flottais à l'intérieur, prisonnier et protégé. La lumière s'y dispersait, une chaleur affaiblie, un éclat diffus qui s'éteignait entre mes bras. Recroquevillé sur moi-même, j'ignorais quelle couleur allait m'accueillir, me choisir. J'aurais voulu toutes les peindre dans nos yeux. J'aurais souhaité que tu sois celle qui choisisse mes iris. Tu n'aurais pas pu. C'était mon choix, ma destinée, mon fardeau...

On nous obligeait à chercher, on nous forçait à trouver notre couleur alors que j'étais bloqué dans le néant. Dans cette immensité noire et diminuée, toutes les nuances étaient coincées dans les ténèbres. Elles hurlaient, elles cherchaient les clés du Saint Éclat pour vibrer et retrouver leur liberté. J'entendais leurs cris de douleur, j'explorais leurs blessures profondes et brûlantes. On avait l'impression d'avoir le choix... ce dernier était simplement une corde au cou. Dans mes yeux, il n'y avait plus rien, rien qui ne souhaitait s'exprimer. Ma passion des couleurs vacillait comme les dernières lueurs d'un brasier. Ma liberté, dévorée par cette morne prison. Mes iris, absorbées dans ce brouillard inconnu.

Triste, seul, fatigué et même tétanisé par ce choix cornélien à faire, tout me glissait dessus. Les larmes, les remarques, les obligations, les bonnes et mauvaises intentions. Nos iris grises semblaient être privées de lumières et de couleurs, comme si les lucioles s'étaient évanouies vers le firmament. De là-haut, le ciel devait être merveilleux. Des cirrus et des arc-en-ciel, là où le gris devait se faire discret et teintait les ombres de ces nuages cotonneux.

Yeux dans les yeux, corps contre corps, tout et rien me portaient vers le sublime. Le rien qui me mettait à genoux comme dans un mauvais rêve, qui assommait mon corps de cette peur de ne pas savoir me décider face à cette palette colorée. Le tout qui me faisait vibrer, mes cils s'en souvenaient si bien lorsqu'ils dispersaient la lumière en arc-en-ciel, les yeux mi-clos.

Vulnérable et fragile, j'attendais simplement son écho pour être sauvé. Je souhaitais qu'elle m'apparaisse en rêve, qu'elle souffle son nom à mon oreille, qu'elle m'apporte ce renouveau. Je voulais que ce cauchemar cesse et que mon unique couleur se révèle.

Petit, je regardais les yeux de mes parents avec tellement de joie, ces iris pétillantes, colorées. J'avais envie d'attraper ces lignes chatoyantes pour les tapisser dans toutes les allées de la ville. Pourtant, c'était l'ombre de la lumière qui s'imprimait dans ma rétine. Un flux de couleur fantôme qui se perpétuait dans ma vision, accentuant mon indécision.

Névrose, dépression, pensées décolorées comme l'étaient mes iris grisées. Je tentais de me repentir mais mon paysage se dégarnissait dans cet incendie ravageur. J'étais incapable de faire un choix, j'étais incapable d'entendre la voix de ma couleur, j'étais sourd au chant des couleurs. Le gris de mes yeux transpirait leur silence.

Tu me tenais la main, tu éteignais le feu de mes craintes de tes mots, de tes larmes. J'avais envie de crier ma couleur primaire, te prouver que je pouvais choisir. C'était peine perdue. Personne n'avait jamais su s'imposer une teinte par défaut, et personne n'avait jamais gardé les prunelles grises de son enfance après ses dix-huit ans... Pire, on racontait que les humains qui n'auraient pas trouvé leur iris... perdraient la vue.

J'avais peur que mon cœur se consume sous cette pression. Beaucoup d'enfants avaient déjà leur couleur et je me retrouvais seul, abandonné, proche de la majorité. Tes yeux verts avec ce cercle doré autour de la pupille était proche d'être un bijou. Lorsque nos regards se croisaient, je voyais bien toute ta détresse à travers, comme si tu voulais me partager ton éclat avec moi. Tes doigts fins entremêlés aux miens étaient un amour qui nourrissait mon cœur.

Recueil de nouvelles | 2018 à 2020Où les histoires vivent. Découvrez maintenant