Recueil de nouvelles | 2018 à 2020

Brouillard aux milles couleurs

Une brume légère se levait très lentement. Aïssa admirait les faibles rayons du soleil qui réussissaient encore à pénétrer dans la forêt. Les coudes adossés contre le rebord de la fenêtre, le visage posé contre ses mains, le spectacle était beau, agréable à regarder. Ces faisceaux lumineux étaient un appel, et ses yeux verts brillaient d'une si douce intensité.

Sa grand-mère était en pleine consultation, elle tirait les cartes à une jeune femme, peut-être soucieuse de son avenir... La petite fille âgée de 12 ans avait toujours vécu dans cette modeste caravane, accompagnée de son ainée comme seul parent. Elle n'avait aucun souvenir de sa mère ou de son père, elle n'était même pas sûr d'en avoir réellement eu avec eux, même enfant.

Son sourire traduisit cette pensée qui la traversait, de cette famille qu'elle aurait pu avoir... Ses coudes s'affaissèrent, laissant sa tête perdre en hauteur. Elle finit par les laisser couvrir entièrement le rebord et y posa son menton, avec un air rêveur dirigé vers le ciel, si nuageux pour un mois de Mai.

- « Aïssa ! »

La voix rauque et grinçante de sa grand-mère la libéra de ses pensées. Elle se retourna. Une ombre chancelante gagnait en intensité. Elle aurait pu reconnaitre entre mille ce bruit très rythmé contre le parquet. Une main tira le rideau étoilé et légèrement transparent. La vieille dame entra dans la chambre d'Aïssa. Elle frappa le sol, trois fois, à l'aide de sa canne. La petite fille à la queue de cheval frémit. C'était l'heure...

- « Prends tes affaires, nous sortons dehors ! »

L'enfant ne pouvait pas refuser. Sa grand-mère comptait sur elle. Ce poids sur ses épaules était de plus en plus lourd. Ses yeux se baissèrent au sol, son sourire rêveur s'effaça au profit d'une mine servile. Elle qui était installée depuis le début sur un petit tabouret en bois, le quitta pour se diriger vers sa garde-robe. Elle enleva ses vieux vêtements qu'elle plia délicatement. Elle enfila une longue robe blanche. Elle se regarda à nouveau dans le miroir de la porte de son armoire. Sa queue de cheval tressée pendait sur la gauche. Elle scruta l'âme de cet enfant qu'elle ne reconnaissait pas et qui était pourtant la version identique d'elle-même. Elle pencha la tête, ses boucles d'oreilles en forme de clochettes émirent un léger tintement. 3 coups de canne retentirent à nouveau. La jeune blonde se ressaisit et pressa le pas pour arriver devant sa grand-mère, droite comme un « i ».

- « C'est une de mes meilleures clientes, ne t'avise pas à échouer ! »

Cette intonation dans sa voix, elle sentit son cœur se nouer et déglutit difficilement. Les bras le long du corps, la tête baissée, elle s'adressa solennellement à son aïeule :

- « Que le troisième œil me guide. »

La vieille dame reprit sa marche jusqu'à l'extérieur de la maison accompagnée de sa petite-fille qui la suivait dans son ombre. Derrière la caravane, sobrement décorée de fleurs et de bougies, une dame attendait au centre du jardin. Après avoir franchi le sentier qui longeait un étang, la grand-mère s'approcha et tendit la main. La jeune femme en sortit une liasse de billets et murmura quelques mots à la matriarche. Elle hocha de la tête. Il faisait froid pour un mois de Mai, les jambes légèrement nues d'Aïssa frissonnaient sous la brise légère.

- « Le rituel va pouvoir commencer. Ne bougez pas de votre emplacement, Mademoiselle. »

Sous ces mots, Aïssa comprit qu'elle allait devoir entamer la cérémonie. Elle s'avança vers la jeune femme, brune, le regard fuyant et les poings serrés. La petite fille ne put s'empêcher de remarquer de petits détails, comme le bas de son pantalon légèrement verdit par la mousse, une poche mal fermée à son manteau, une bague au doigt scintillant sous les faibles lueurs de la fin de soirée.