Maiden[d]ead

Chapitre 10 - Tracteur ou camionnette?

John Grant était un gros lourd et ça, tout le monde (presque) le pensait dans le fond du bus. Aaron, plus que tout autre. 

Aaron était, pour beaucoup, considéré comme le rebelle intello du collège. Cheveux mi-long ondulé, blond, barbe naissante s'approchant davantage du duvet de poussin que de la barbe d'un ZZTOP, il ne s'exprimait pas beaucoup et se montrait réservé face au groupe : un moyen pour lui de se protéger des moqueries de cour de récréation, car des cons, ce n'est pas ce qui manquait au collège de Providence! «Mais je suppose que c'est pareil dans tous les collèges» se disait-il souvent. Il n'avait qu'une hâte, quitter ce collège peuplé de personne uniformisée (autrement dit sans style et sans culture) pour aller au lycée où il pourrait s'affirmer au sein de groupe bien marqué.

Il avait tout de même quelques amis dans le collège, Arthur, son voisin de bus, un gars un peu coincé, un air snob, qui prend tout le monde de haut. C'était sa carapace à lui et Aaron avait découvert la perle qui se cachait en son sein. A deux, rien ne pouvait les arrêter, des machines de guerre intellectuelles! Bon, pour les DM de maths, c'était une tuerie mais avec les filles, c'était tout l'inverse. Et c'est bien pour cela qu'Aaron portait en admiration le dernier de la bande : Alban. Vous voyez le cliché du Quaterback américain? Et bien c'était lui, une armoire à glace mais du genre sexy. Il ne faisait pas de football américain, mais du Judo, et il avait surtout un humour qui faisait mouche. Toujours à faire le clown, à faire son show, à faire rire : toujours sous les projecteurs. Aaron et Arthur profitaient un peu de l'aura du troisième maillon de la bande, pas pour les filles certes, mais coté respect et "potentiel caïd", c'était bon pour eux.

Enfin, tout ça c'était valable jusqu'à son arrivée en "3e Pâquerette" (je ne sais pas qui a eu l'idée de donner des noms de fleurs au classe cette année, c'est d'un goût...). Dès la prérentrée, Aaron l'a remarqué. Cette fille assise au dernier rang. Faut dire que des filles comme ça, il n'y en a pas 10. Cheveux mi-long noir, t-shirt arborant la tête de Nicholson dans Shining, bloqué dans sa porte de salle de bain, effrayant, bracelet de force, juste ce qu'il faut de maquillage : une merveille. Il apprendrait plus tard qu'elle s'appelait Céline. 

Sept mois ont passé, il en reste un avant le DNB et cette nouille d'Aaron n'avait toujours pas réussi a faire le premier pas. Le voyage était la bonne occasion non? Elle était d'ailleurs à trois siège de lui. Ils avaient échangé quelques sourires, quelques paroles durant l'année mais il sentait que là, c'était différent, c'était le moment où jamais.

— Alban! J'adore! s'esclaffa John les yeux rivés sur son portable.
— Mais arrêtez monsieur sérieux, je flippe déjà assez! Allez montrez!

John montra son écran à Léo, Cassandra et Maëva, tous s'esclaffèrent. Il avait eu la merveilleuse idée d'aller récupérer l'adresse de la famille d'Alban, Arthur et Aaron et de la mettre dans Google Maps pour faire quelques repérages. 

— C'est grave paumé! déclara Cassandra.
— Attends, y'a même pas de maison! Vous allez dormir en grange! ajouta Léo.
— J'suis sur ils vont venir vous prendre en tracteur! plaisanta Maëva.
— Non sérieux stop, ça devient plus drôle là! Imaginez c'est vrai? répondit Alban.
— Mais non ce n'est pas vrai, coupa Arthur, il n'y a aucune raison valable pour que l'organisme qui gère les familles nous fassent dormir sur un ballot de paille. 
— Oh la la, si on peut plus rire, pesta John. Allez, je retourne devant avec la English Teacher Team oh yeah!

«Bon débarras» pensa Aaron avant de remettre ses écouteurs diffusant du Saez au delà des décibels conseillés. Il lança un regard vers Céline, plongée dans son livre, magnifique.

— C'est là gros! cria Alban à Aaron en se retournant sur son siège.
— Putain, on va enfin pouvoir sortir, j'en peux plus de ce four! Sérieux si dans un mois il fait cette température dans les classes, on se fait une pétition pour annuler les épreuves de DNB!
— On va vraiment parler collège ce soir? répondit Alban, faisant mine de se tirer une balle.

Le bus se gara, John revint (malheureusement) dans le fond du bus.

— Je ne vois pas de tracteur, lança-t-il, faisant s'esclaffer le trio de lèche botte. 
— Par contre il y a une vieille camionnette blanche avec un mec en salopette devant, à mon avis c'est votre "Daddy" les mecs! plaisanta de nouveau Maëva.

Les professeures d'anglais appelaient chaque groupe, le bus se vidait. Il restait toujours Céline, qui avait levé la tête de son bouquin. Elle croisa le regard de Aaron, affichant un sourire qui peinait à cacher son appréhension.

— Bricks Family ! It's okay ? Bye bye Alban, Aaron et Arthur ! See you tomorrow ! dit Mme Spencer dans le micro.

Aaron, Alban et Arthur récupérèrent leurs bagages dans le soute du bus pour les mettre dans la camionnette blanche, car oui, Mister Bricks était bien le monsieur en salopette et lui aussi, cachait de lourds secrets.