L'Insurrection [En correction !!]

chapitre 3

Malgré ses trois cent années écoulées sur terre, l'hybride transpire d'une innocence vive et choquante, en particulier aux yeux d'Andreas qui ne comprend pas comment elle peut s'effrayer de tout et s'émerveiller de tout, les deux à la fois, dans un sordide mélange d'émotions placardées sur son visage aux traits juvéniles. A contrario d'Irène qui arbore l'âge d'une femme dans sa trentaine bien entamée, sa nièce paraît tout au plus dix-sept, vingt ans maximum. Et son air hagard ne l'aide pas à se conférer de la prestance. Soit elle courbe les épaules, voulant apparemment faire disparaître sa tête dans le pli de son cou ; soit elle rase les murs et se tient le plus éloignée possible d'eux, n'entrant jamais en contact avec sa tante. Jamais. Y compris en termes de regards échangés.

Andreas a vite interprété son rôle. Dès qu'Irène s'est avancée dans l'allée de cet immeuble délabré et qu'elle a lu la terreur mêlée à l'admiration éteinte de sa nièce, elle s'est mise en retrait, tournant souvent le dos à l'hybride et ne lui accordant pas d'attention. L'Ambassadeur a donc joué le médiateur à la perfection. Il a d'abord fait signe à la louve de les suivre et celle-ci n'a pas résisté. Sûrement l'effet de surprise qui est intervenue en leur faveur. Ils se sont alors précipités à vitesse vampirique bien loin d'Avignon, remontant par l'ouest vers la forêt noire, là où les sbires de Grace ou les mercenaires d'Ethel ne la cherchent déjà plus, puisqu'elle est supposée vagabonder dans le sud camarguais à cette heure. 

Irène a ouvert la voie vers un manoir abandonné depuis des décennies, à en juger par les ronces tout autour, les mauvaises herbes dans le jardin, les volets en train de tomber, valsant au gré du vent, et la forte odeur de renfermé. Andreas a dû ralentir son rythme pour ne pas perdre l'hybride. De toute évidence, elle a développé son côté loup, mais pas ses aptitudes de vampire, car sa vitesse laisse à désirer et elle arrive essoufflé devant la vieille bâtisse abîmée. 

Toutefois, en y pénétrant, l'hybride découvre une accumulation de détails qui la perturbent de plus en plus. En premier, la disparition de sa tante de son champ de vision. Elle flaire encore sa puissance et son parfum de fleurs oubliées, mais elle est montée à l'étage sans les attendre et ne semble pas impatiente de discuter avec sa propre nièce. 

En réalité, Andreas devine aisément la raison de ce détachement feint. Peu importe à quel point Irène s'est barricadée et s'est créée des murs impénétrables avec les siècles, elle ne se montrerait pas insensible face à la fille de sa sœur décédée dans d'atroces conditions sans qu'il n'existe une explication valable. D'une part, la vampire millénaire craint probablement que sa nièce ait nourri un ressentiment envers elle, puisque sa mère est morte par sa faute, d'une façon ou d'une autre. L'Ambassadeur répondrait que Chasteté a été victime d'Ethel et de son limier, que Cordelia a tout engendré et qu'elle est l'unique fautive, mais la paria porte le fardeau de la culpabilité depuis si longtemps qu'elle ne l'accepterait pas. D'autre part, il ne servirait à rien de forcer la louve sauvage dans une relation tante-nièce qui n'a jamais mûri jusqu'à présent. 

— Viens avec moi, petite louve, tu empestes tellement qu'Ethel n'aurait même pas besoin d'un enchantement pour te localiser. 

L'hybride, collée au mur de ce manoir, plantée dans le hall d'entrée, pique un fard à cet instant et sort ses crocs sous l'œil indifférent d'Andreas.

— Je ne suis ni une louve, ni petite !

Andreas décide alors de poursuivre le jeu d'Irène : pousser l'hybride inexpérimentée à grandir, quitte à obtenir des améliorations en la secouant.

— Du loup et du petit, nous en reparlerons lorsque tu auras appris à vivre en accord avec ton nom. Une de Lister incapable de se battre ou, au moins, de se défendre et de fuir ne mérite pas de respect. Surtout pas après trois cent ans à gâcher ton potentiel. Tu me fais pitié, petite louve.