Chapitre 18

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953, Northumbrie, Durham

Cordélia marchait tranquillement, jaugeant attentivement les étales. Le marché aujourd'hui était bondé. Les paysans tentaient de vendre à la hâte le peu de leur récolte, afin de pouvoir ensuite payer les taxes de la royauté. La vampire n'était pas soumise à ce règlement, puisqu'elle entretenait le privilège des nobles. Proche du roi normand, il l'autorisait à garder entièrement sa fortune, à condition qu'elle lui voue une allégeance absolue et le soutienne contre ses opposants. Belle et envoûtante, il espérait qu'elle charme ses ennemis, lors des rencontres diplomatiques.

- Que vient fabriquer une Dame telle que vous dans ce pauvre endroit ? questionna curieusement un homme, à sa droite.

Ratatiné contre un muret, grignotant un médiocre boute de pain rassi, un loup à ses côtés, la blonde vénitien nota immédiatement la nature de l'individu. Un cabot. Il lui jetait un regard visiblement intéressé, mais elle l'ignora. Répondant poliment d'un simple sourire, elle s'éloigna et continua sa tâche. Ses serviteurs n'étant pas débrouillards pour lui dénicher des produits frais et un minimum mangeables, elle choisissait elle-même ses vivres. Un panier au bras, elle se chargeait de rapporter à son humble demeure sa nourriture.

Quand elle eut terminé, Cordélia effectua un long trajet, qui la détendit. Habituellement, cloîtrée entre les mêmes murs où son père avait trépassé, elle appréciait grandement les moments à l'extérieur. Elle respirait l'air vivifiant et admirait la nature qui s'altérait au fil des années. Plus de trois siècles déjà qu'elle vivait, deux que ses filles étaient nées, et le monde changeait progressivement. Des constructions de l'homme apparaissaient peu à peu et conquéraient l'espace. Bientôt, ou dans des millénaires, un jour, la nature disparaitra pour toujours.

Arrivée chez elle, une dizaine de montures l'accueillit. La noble fronça vivement des sourcils, peu à même à discuter avec qui que ce soit. Toutefois, en regardant mieux l'équipement des chevaux, les selles avaient l'air coûteuses, et une armoirie se dessinait sur un tissu dépassant d'une sacoche. A priori, sa Majesté le roi s'invitait dans sa maison. Soupirant d'agacement, elle s'y précipita néanmoins, se souvenant que sa fille se trouvait seule en sa compagnie. Promptement, elle entra dans la pièce à vivre, et le visage souriant de son monarque l'éblouit.

- Vous voilà enfin, ma chère ! Je désespérais de vous rencontrer aujourd'hui ! Cela doit bien faire deux heures que je converse avec votre adorable enfant, vous l'élevez à la perfection ! Quelle jolie jouvencelle. A marier, surtout ! Tout comme vous, d'ailleurs.

La mine vidée de toute émotion indiqua à Cordélia que cet homme se voulait aimable, mais qu'il mentait atrocement. Facile à deviner, puisqu'Irène n'aurait jamais parlé avec lui. Probablement que, durant deux heures, ils s'étaient scrutés dans le blanc des yeux sans prononcer un mot. Aucun breuvage n'était déposé sur la table, alors la mère leur en proposa. Une pinte pour sa Majesté emplie complètement d'hydromel sucrée, ils purent commencer à évoquer la réelle raison de sa présence.

- Vous savez que mon règne est en danger. Mes Northumbriens souhaitent que je reste, mais le Wessex me menace constamment. J'ai besoin de vous, Dame Cordélia. J'organiserai une rencontre avec ces scélérats, et vous vous contenterez de sourire. Je déblatérerai quelques idioties qu'ils croiront grâce à votre jolie minois et notre peuple obtiendra enfin la paix.

En effet, le roi Eric, élégamment surnommé 'hache de sang', connaissait une passade délicate. Le Royaume d'Angleterre devenait de plus en plus puissant et les Vikings avaient tant affaibli le Northumbrie durant leur invasion. Il avait été chassé une première fois et était revenu par la volonté du peuple. Toutefois, la situation tournait en sa défaveur. Malheureusement pour lui, Cordélia s'accordait avec les idées du Wessex. Elle aspirait à ce que sa nation indépendant rejoigne l'alliance anglaise, afin de retrouver des ressources fiables. En outre, elle n'hésita pas le moins du monde pour lui admettre sa pensée.

- Un nom parcourt Durham depuis plusieurs jours. Eadred. Eadred de Wessex. Vos Northumbriens se renseignent de plus en plus à son propos. Il semblerait que cet homme devienne plus apprécié que vous. Votre peuple chéri vous chassera dans peu de jours, mois si la chance vous suit. Votre Majesté, je vous conseillerais de partir de votre propre décision. Sinon, vous pourriez être jeté hors de votre royaume pareillement à un étranger.

Fulminant, les muscles entourant sa bouche tremblaient, signe qu'il retenait sa haine. Pourtant, il lui avait expressément ordonnée de toujours se montrer honnête en sa présence. Le roi sortit dans la seconde, fou de colère, et impuissant ; ses gardes, des mercenaires sans foi, ni loi, quittèrent la maison ensuite, laissant une ambiance glaciale. Cordélia commanda à Irène de rassembler ses biens les plus précieux et d'être prête dans l'heure suivante. Puis, elles délaissèrent ce domaine qui brûlerait dans la nuit. 'Hache de sang' fonctionnait ainsi ; si quelqu'un qu'il favorisait le trahissait, il détruisait leur foyer, en espérant que le félon soit dedans et périsse dans les flammes.

- Eh bien ! s'exclama un homme. Nous nous recroisons à nouveau. Et avec votre douce enfant ! Deux femmes seules dans la nuit épaisse, effets personnels en main, cela se dévoile plus sordide encore qu'une noble au marché.

- Puisque vous aimez tant m'adresser la parole sans raison particulière ! rétorqua d'un cri retenu la mère, vous me rendez peut-être un service.

- Quel service ? hasarda le cabot, intégralement séduit par l'aura dominatrice de cette vampire.

- Sa Majesté réclamera ma tête, il pourrait même venir la quémander en personne, et me l'arracher de sa fidèle hache. Je crains donc pour ma vie et celle de ma fille. Des suggestions ?

Le loup lâcha un rire sincère. Cette révélation l'amusait beaucoup. L'étrangeté englobait cette femme qui regorgeait d'impétuosité et de cynisme. D'un signe bref, il les invita à sa suite. Ne sachant pas vraiment où se rendre, Cordélia et Irène se laissèrent guider jusqu'à l'extérieur de Durham. Cachées par la forêt, des cabanes essayaient de tenir droites malgré la pluie et le vent. Les deux rouquines sentirent l'odeur forte des loups-garous et, bien qu'elles étaient réticentes à l'idée de vivre par ici, elles s'octroyèrent le droit de ne plus songer correctement et simplement accepter une main tendue. Il les amenèrent devant un habitat écarté des autres et expliqua :

- Il y a deux couches. Vous dormirez sur l'une des deux, car la seconde est occupée par une sorcière que vous avons recueilli quelques jours auparavant. Elle est extrêmement fatiguée, ne la dérangez pas trop. Pour information, elle se prénomme Mélissandre, et elle est sous notre protection. Parce que les vampires ne s'entendent avec aucune autre espèce, veuillez ne pas passer vos nerfs sur cette pauvre mage. Une maladie l'épuise suffisamment... Ah ! et vous vous situez au sein de ma meute, j'en suis l'alpha. Appelez-moi Stanislas, s'il vous plait.

L'Insurrection [En correction/PAUSE !!]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant