Chapitre 13

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1759, Sénégal, Saint Louis

Durant de nombreux jours, Irène fut gardée captive dans les donjons d'une véritable forteresse, comme l'avait mentionné Gabriel. Celui-ci la visitait toujours et engageait diverses conversations. Au début, elle répondait par les affirmatifs, ou négatifs, seulement ; puis, elle ne parla soudainement plus. Ce petit jeu ne l'intéressait plus. Passés les retrouvailles avec son amant, elle ne voulait lui accorder ni regard, ni parole qui laisseraient présager son pardon. Parce qu'elle ne le devait pas.

- Aujourd'hui, tu rencontreras la Trinité. Pour l'occasion, tu porteras une tenue choisie par ses soins et tu bénéficieras même d'un bain. Sa Magnificence s'improvise généreuse, puisqu'elle te verra enfin après deux cents ans de traque acharnée... Afin de la remercier convenablement, tache de bien te tenir. Pas d'incartade, je refuse de calmer vos ardeurs l'une en face de l'autre. Discuter et trouver un arrangement. A la suite de mes négociations, Mélissandre sera prête à t'octroyer l'absolution. A condition que tu te ranges dans son camp et que tu...

- Plus un mot, souffla-t-elle, à la limite d'une haine inconditionnelle. Elle arbore une bouche, qui peut prononcer ces phrases à ta place. N'est-ce pas ? Dans ce cas, je m'entretiendrai avec elle directement.

Loin de se froisser, Gabriel opina du chef et la laissa seule un moment. Comme promis, quelques secondes plus tard, de misérables créatures la guidèrent dans une pièce où un bain l'attendait, ainsi qu'une robe en satin. Mélissandre souhaitait-elle l'humilier, la détruire, tandis qu'elle porterait les plus beaux habits ? A vrai dire, Irène ne comprenait pas, mais elle s'exécuta, désireuse d'en finir. Une fois préparée, des serviteurs l'escortèrent jusqu'à une salle gigantesque, sombre, semblable à une grotte. Des flambeaux sur toutes les parois, des colonnes soutenant la structure, de lourdes portes tirées par pas moins de six gardes, et un trône tout au bout, illuminant le décor grâce aux dizaines de flammes l'entourant. Mais, où mettait-elle les pieds, bon sang ?

Mélissandre la détaillait abruptement. La rousse avançait docilement et s'arrêtait à quelques mètres. Deux hommes encadraient le trône, et ils possédaient l'exact même regard qu'elle avait déjà rencontré d'une chose. Infantatë. Ces gardes étaient-ils des démons ? Par tous les saints, elle espérait que non. Au plafond, des monstres tournaient frénétiquement, s'entrechoquant par moment. Des créatures de l'ombre, des Enfers. Elle en avait aperçu dans le Daemonica, sous forme d'esquisse. Des furies.

- Je remarque que mon armée t'impressionne ! s'exclama Mélissandre, obtenant son attention. Je dois l'avouer ; en réalité, je l'ai confectionnée juste pour toi, ma chère. Ou pour nous. Si tu acceptes de te joindre à moi... Ne nous détournons pas du sujet et abordons-le sans tarder. Je te veux, je te désire plus que quiconque, et tu seras la pièce maîtresse de ma gloire. Règne à mes côtés et ceci se trouve être un ordre, et mon ultime proposition. Refuse, et je n'aurais aucun remord à t'éliminer. Soit tu marches avec moi, soit tu ne marcheras plus du tout !

Clair, net et précis. Sûrement avait-elle appris cela de Cordélia. Cependant, une phrase attira ses pensées et en confirma d'autres. En effet, à l'époque, avant l'Insurrection, Irène se doutait qu'un conflit de sentiments se déroulait sous ses yeux. Concernant la Trinité. Ses doutes ne s'étaient jamais dissipés. Et ils se résumaient en une poignée de mots catégoriques : Mélissandre aimait, d'un amour d'amants, Cordélia. Bien évidemment, comment aurait-elle pu le lui avouer ? A cause des mœurs et au cause de Stanislas, elle avait menti désespéramment durant des années, pour finir par s'éprendre de folie au trépas de son aimée. Je te désire plus que quiconque, cela également soulevait ses questionnements. Elle devinait aisément que la sorcière n'avait rien pu faire autrement que déplacer son affection sur elle. Et, désormais, la rousse subissait ses passions douloureuses. Sinon, elle serait morte dans les cachots plus tôt. Cette chance de survivre que la Trinité lui offrait, elle la devait à son amour perdu. A cette constatation, elle ne put décemment plus haïr cette femme désemparée et anéantie. Plus tout à fait.

- Il me faudra davantage pour me convaincre, Mélissandre. Peu importe tes arguments, je ne constituerais pas ton arme, ni ton jouet, personnel qui sèmera la chaos sur terre. Dorénavant, tu n'es plus la Paix, la Guerre et la Désolation. Je te destitue de ce rôle. Je répandrai à nouveau la paix dans le Monde Obscur et sur tous les mondes sur lesquels tu t'acharneras, je te déclarerai la guerre encore et encore, afin d'obtenir ta désolation. Tu abdiqueras sous mes assauts et tu disparaîtras à tout jamais... Par ailleurs, tu aurais déjà dû abandonner. Par respect pour Cordélia ! cracha Irène, entraînant les regards foudroyants de la sorcière. Tout ceci, la Trinité, il s'agissait de son rêve, son entreprise, tu lui voles tout. Pour sa mémoire, je me montrerais honteuse à ta place.

Souriant en apparence, serrant des dents et des poings, Mélissandre essuyait difficilement la provocation. Décidée à se venger, et surtout à amorcer le coup fatal, elle adressa un signe de mains aux deux gardes impassibles qui s'approchèrent, créèrent une barrière invisible et insurmontable entre son trône et Irène, puis les deux hommes dirigèrent leurs yeux vers le plafond, semblant communiquer avec les créatures. Ces dernières étaient retenues en hauteur par une ligne transparente qui les empêchait de descendre. Mais, cette ligne disparut et les furies purent enfin voler librement dans la salle. Elles poussaient des hurlements déchirants et la rousse se questionna sur les intentions de la sorcière. Elle comprit rapidement.

Elle les comprit, lorsqu'un corps, libéré également de la ligne protectrice, tomba jusqu'au sol rugueux. Un corps qu'Irène n'osa identifier. Cependant, elle dut se rendre à l'évidence. Ce visage parcouru de sang séché, ces courbes brisés par la chute, ces traits éteints ; un corps qu'elle reconnait à peine, puisqu'elle n'avait pas vu la personne pendant longtemps. Depuis huit cent soixante-dix-huit.

- Jessy Horline a perdu la vie pour ton opposition. Cesse un peu ton égoïsme et saisis ta place à mes côtés.

Impossible de répliquer quoi que ce soit, les yeux plaquaient sur le cadavre de sa sœur. Une femme qu'elle avait peu côtoyée, puisqu'elles avaient été séparées par l'Ordre des Protecteurs. Mais une femme pour laquelle elle portait une affection particulière. Elle représentait sa dernière famille. Irène se jura, ce jour-là, de pulvériser chaque cellule formant l'être diaboliquement abjecte que constituait Mélissandre.

L'Insurrection [En correction !!]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant