L'Insurrection [En correction !!]

Chapitre 5

1357, Iran, Persépolis.

- Attendez-moi là, intima Cordélia. Ne bougez sous aucun prétexte et n'arrêtez pas le processus. Sinon, vous en paierez le prix. Compris ?

Irène opina du chef, mais ses sourcils se froncèrent. Sa mère semblait angoissée et voilà qu'elle la menaçait. En réalité, sa fille soupçonnait que ledit processus représentait un risque non-négligeable, qu'elle pourrait en mourir peut-être. La peur transpirait par tous ses pores et elle se montrait ainsi pour la première fois. D'un coup, cela soulageait la rousse, puisque sa mère se trouvait enfin en position de faiblesse, prouvant qu'une once d'humanité demeurait en elle. D'un autre côté, elle lui avait toujours appris que la faiblesse devait être éradiquée, alors cet état la faisait bien rire.

- Et pourquoi pas m'expliquer la situation ? suggéra-t-elle, cherchant à comprendre sa génitrice.

Celle-ci ne lui répondit évidemment pas. Irène soupire, mais la laissa agir à sa guise. Cordélia saisit le Daemonica et se plaça au centre d'un cercle tracé au sang de victimes innocentes qu'elle avait massacrées impunément quelques minutes plutôt. Ce livre dégageait encore une aura maléfique et la vampire refusait de s'en approcher.

- Cordélia Horline, fille des flammes de l'Enfer, née des cendres démoniaques, créature de l'Ombre, revendique les pouvoirs du Tout-puissant ! s'exclama Délia, tandis qu'Irène la jugeait d'un regard dépité - à quoi jouait-elle, bon sang ? -. Ma quête sera longue, probablement éternelle, mais je jure devant vous que je vaincrai les forces destructrices qui dévastent notre monde ! Tout-puissant, donnez-moi la force ! Accordez-moi l'honneur de démontrer ma détermination à exécuter vos ordres en votre nom ! Tout-puissant, donnez-moi la force d'anéantir nos ennemis.

Tout-puissant ? Irène présumait qu'elle s'adressait à un Dieu, mais pourtant Lucifer parut lui répondre. Du sable fin s'éleva dans les airs, noircissant au fil des secondes, tournoyant autour du cercle et de Cordélia ; les ruines de Persépolis furent rapidement recouvertes par un écran de particules jaunies et la rousse eut du mal à voir la scène. Les yeux écarquillés, autant pour augmenter sa vision que stupéfaite, elle aperçut un filé de liquide rougeâtre coulé de ses narines, puis du coin de sa bouche, et sa mère s'écroula à genoux, chuta la tête en avant sur la pierre,...morte. La vampire ne l'entendait plus. Elle n'entendait plus les signes de vie provenir de son corps. Morte. En un clin d'œil.

Elle soupira, mais d'indécision. Devait-elle s'avancer et comprendre ? Ou obéir aux ordres ? Le plus triste dans ce moment était paradoxalement l'absence d'une tristesse quelconque. Irène ne saisissait pas encore la situation, elle n'adhérait pas au trépas de sa mère, pas encore. Nul chagrin ne s'invita en elle.

- Votre mère serait sévèrement choquée et déçue si elle connaissait la froideur de vos sentiments à son égard.

La voix se déplaça et une femme, nue, se présenta à elle. Irène l'observa sous toutes les coutures. Quelque chose clochait chez cette personne. Ainsi dévêtue, le sable aurait dû salir ses chairs immaculées. Basanée, hirsute, l'individue se tenait droite comme un piquet et fixait la vampire avec un sourire en coin. Elle n'était clairement pas une voyageuse, ni une autochtone. Néanmoins, elle possédait des traits perses. Et elle venait tout juste de pénétrer ses pensées, violant l'entièreté de son esprit.

- Je constate que ceci vous met mal à l'aise, ou... Cela vous énerve au plus haut point. Surtout que vous n'avez aucune confiance en moi. Suis-je une sorcière ? Vous questionnez-vous à ce sujet ? Allons ! même ô combien je serais une puissante mage, je ne pourrais lire votre âme. Les sorcières sont encore trop fragiles, elles n'ont pas tout à fait développé l'entièreté de leur don.

Et elle soupira. Irène ne s'empêcha pas de la scruter méchamment, ni d'illustrer son mécontentement par d'innombrables soupirs. La chose en face ne semblait pas souhaiter quitter son esprit, alors elle décida de l'en chasser. De toutes ses forces, la vampire rassembla sa volonté et créa un mur mental. L'intruse recula d'un pas, mais restait dans sa tête. Elle poussa donc le mur jusqu'à la sortir complètement. La créature jappa, mais sourit joyeusement, tapant dans ses mains, telle une hystérique.

- Mes félicitations, jeune Horline. Vous possédez une aura de domination qui dépasse toutes celles que j'ai pues rencontrer, ou affronter. D'ailleurs, vous êtes la seule à me résister. Bien que, entre nous deux, si je le désirais véritablement, je pourrais écarteler votre âme à ma guise... J'aurais adoré vous servir... Cela me désole et me comble de déshonneur de devoir seconder une femme si faible et médiocre, votre mère. Mais, surtout, ne lui dites pas. Elle se vexerait pour sûr et notre nouveau lien m'obligerait à m'excuser.

La rousse ne comprenait vraisemblablement rien de tout, mais elle ne tardera pas à obtenir des réponses, puisque Cordélia ressuscitait. Apparemment, le Diable la voulait sur cette maudite terre. La miraculée exposa son bonheur et son exultation, quand elle aperçut la dénudée. Immédiatement, elle accourut vers sa fille et la chose, légèrement vacillante. En fait, comment marcher droit, fuyant péniblement les griffes de la Mort ?

- La situation, ma très chère enfant, répondit finalement Délia, c'est que le Tout-puissant me soutient dans ma quête. Il m'a offert gracieusement Infantatë !

Comme si le nom devait lui procurer une réaction, sa mère attendait une réplique. Mais rien ne vint. La chose présuma qu'il était temps de mettre un terme à cet instant gênant, et elle s'inclina docilement devant Cordélia. Cette dernière arbora une mine fière, à l'extrême de l'orgueil, ce qui désespéra Irène. Visiblement, la matriarche n'expliquerait rien à sa fille qui s'impatientait et bouillonnait de rage, et elle se contenta de s'éloigner, la chose sur ses talons. Par dépit, la vampire suivit le mouvement, irritée au possible, mais une réponse apparut dans son esprit inopinément.

- Votre mère a utilisé le Daemonica pour supplier pitoyablement mon maître de lui laisser un démon, afin d'effectuer une piètre quête qui ne la mènerait nulle part. Infantatë est mon nom, démon de première classe.

Si votre maître n'a cure de cette quête, ou de Cordélia, pourquoi a-t-il obtempéré à sa requête ? pensa Irène, comprenant très bien le fonctionnement de cette chose. La créature démoniaque se retourna vivement et foudroya la vampire d'un regard ténébreux. Elle n'appréciait pas son surnom de toute évidence.

- Pour deux raisons. D'une part, parce que cette quête la détruira. Et plus les âmes lui parviennent noires, plus il les chérira... Je présage qu'il adorera la vôtre. D'autre part, il ne m'envoie pas à elle, mais dans son monde. Nuance ! Et dans son monde, vous prenez une part importante... Mon maître vous a repérée, voyez-vous, et il vous surveille.

Formidable ! s'écria-t-elle, intérieurement. Le Diable lui adressait une trop grande attention, et cela ne lui plaisait pas. Certes, elle n'était pas une Sainte, et les ténèbres englobaient son existence, mais Irène préférait ne prêter allégeance à aucun être supérieur, que ce soit un Dieu, ou un Diable. La démone pivota une seconde fois vers elle et rétorqua à ses pensées un sourire espiègle. Comme si elle savait qu'à sa mort, la rousse rejoindrait - qu'elle le veuille ou non - son maître. Toutefois, elle ne s'en inquiéta pas encore, le temps défilait lentement pour une vampire, mais un autre détail attirait son effroi. Sa mère, qui n'avait jusqu'à présent pas commis de crimes, détenait au creux de son âme un démon. Et pitié pour ce monde, puisqu'elle prévoyait de le pulvériser.

- Vous auriez été un possesseur incroyable, la meilleure de toutes. Je déplore d'appartenir - temporairement, heureusement - à cette inconsciente qui vous a mise au monde. Cependant, je ne vous oublie pas, très chère, assura la démone, toujours à l'intérieur de sa tête. Je me dédierai à vous un jour. Soyez-en sûre.