La déclaration d'Irène lança un vent glacial sur le groupe. Premièrement, parce que son ton avait été tranchant, dénué de sentiments et elles saisissaient la haine qu'elle éprouvait dorénavant pour son soi-disant amour. Deuxièmement, car Angelina ressentait l'urgence de se taire et transmit sa présupposition à Carline pour qu'elle ne rétorque rien ; elles sentaient que la noiraude avait besoin de quelques secondes de silence afin de remettre en place ses idées chaotiques. Et troisièmement, elles apprenaient l'existence de ce mystérieux amoureux.
Pour les humaines, leur amie devait trôner sur ses dix-sept ou dix-huit ans, et non pas sur ses neuf cent ans. Donc, il était inconcevable pour elles qu'Irène ait pu rencontrer un tel amour destructeur. Elles n'imaginaient pas une seconde le nombre d'années qu'il lui avait fallu pour l'oublier. Et, même avec tout ce temps, elle ne l'oubliait pas. Gabriel se retrouvait tout autour d'elle, à chaque instant.
- Avez-vous fini vos boissons ? interrogea-t-elle, sans vérifier par ses propres yeux, se levant simplement. Nous devrions rentrer, le temps se gâte.
D'abord, l'ahurissement s'était invité, puisqu'elles étaient loin d'avoir terminé. Mais, ensuite, elles se redressèrent et constatèrent les nuages noirs parcourir le ciel, arrivant pratiquement au-dessus de leurs têtes. Alors, sans broncher, elles acquiescèrent, buvant promptement leur verre, payant ensuite. Irène commença déjà à marcher lentement devant, suivie par les mortelles ennuyées d'avoir embarrassé la noiraude. Car elles présumaient son état comme étant de la gêne. Bien sûr que non, mais elle ne l'avouerait pas. Elle n'admettrait pas sa peine à ces souvenirs.
Garées tout en bas du village, elles dévalèrent la pente, le mutisme régnant. Toutefois, la vampire sentit. Et elle fut immédiatement aux aguets. L'odeur furibonde des cabots s'élevait dans les airs, et un pressentiment la saisit. Ce n'était pas une coïncidence, voilà ce qu'elle pensait. Si des loup-garous se trouvaient au même village qu'elles, ils devaient forcément l'avoir repérée. La noiraude pivota brusquement, faisant sursauter ses amies qui la scrutèrent d'yeux déconcertés.
- J'exige que vous restiez derrière moi et que vous ne parliez sous aucun prétexte. Ne bougez surtout pas et ne vous mêlez pas de la situation. N'ayez pas peur, aussi ! Ils ne vous toucheront pas, je vous le promets.
Complètement désemparées, elles ne discernaient pas le bon message de ces paroles et demeurèrent immobiles sous la surprise. Toutefois, l'objet des avertissements apparut. Six loups - des animaux, pour les filles ; des créatures surnaturelles qui l'avaient retrouvée pour Irène - sortirent des hautes herbes. Ils grognaient contre la vampire, l'encerclant. Celle-ci voulut sur le champ les attaquer et s'en débarrasser, mais des mortelles observaient derrière. Un homme, cabot qui ne s'était pas transformé, suivit sa meute et fit face aux adolescentes.
- Elles ne seront pas blessées, assura-t-il. Vous non plus, par ailleurs. Nous ne vous souhaitons aucun mal, au contraire. Veuillez vous laisser conduire jusqu'à notre...
- Tanière ? coupa-t-elle, peu amène à écouter ces minauderies.
- Nous le qualifions de domaine, ou quartier-général. Mais, si cela correspond mieux à votre vision des loup-garous, dites tanière.
Cette remarque narquoise irrita Irène, qui soupira bien lourdement. Il venait de dévoiler son identité, son espèce, en face d'humaines, et elles ne devaient rien comprendre. La vampire n'osa pas se retourner pour les rassurer, au risque de rencontrer leurs regards curieux, effrayés, ou désorientés. En revanche, elle prit la peine de donner une réponse explicite au cabot. Un doit d'honneur.
- Simple et précis, concéda-t-il.
Puis, ce qui devait arriver arriva. Les loups bondirent dans sa direction. Irène se déplaça agilement, de manière à en attraper un en plein vol et à le pousser fermement vers un autre. Elle esquiva de justesse des crocs et s'empara ensuite de ceux-ci pour les tirer violemment. Le pire pour un loup était de perdre ses instruments de mort, de chasse. Alors, par pitié sûrement, elle ne les arracha pas. Seulement, la bête hurla, puis couina, de douleur. Ses collègues entrèrent dans une colère noire et doublèrent d'efforts. Ils l'assaillirent à cinq. La vampire sauta sur l'un d'eux et donna un brutal coup de pied dans sa colonne vertébrale. Il s'écroula de douleur et elle atterrit quelques centimètres plus loin.
Aisément, elle se arrêta un nouvel assaut, en décrochant la mâchoire d'un autre loup. Puis, elle heurta une patte jusqu'à la déboiter. Et elle cogna dans un estomac. Ces maudits cabots bénéficiant d'un puissant système interne de guérison, ils se montraient féroces et infatigables. Jusqu'à ce que l'homme s'avance silencieusement vers les jeunes humaines, pétrifiées, et remplies d'effroi. Elles reculèrent, lorsqu'elles furent brusquement saisies hors de leur torpeur.
Irène ne manqua pas le braillement de peur pure poussé par Carline, qui courait à reculons, pour tomber deux mètres derrière. Angelina ne respirait plus tant la panique lui tordait les tripes. Elle essuyait régulièrement des crises d'angoisse qui se soldaient en hyperventilation, et parfois en évanouissement. Aujourd'hui, l'extraordinaire de ce moment l'empêcha de tomber dans les pommes. Jamais elle ne reverrait des loups dirigeant par un homme se battre avec sa meilleure amie qui se déplaçait à la vitesse de l'éclair. Du moins, c'est ce qu'elle présageait.
- Ose poser tes mains sur elles et j'anéantirai ta meute toute entière ! vociféra Irène, se fichant d'attirer l'attention de touristes qui pourraient débarquer à tout instant. Tous se stoppèrent à son rugissement de colère. Alpha ou non, traité ou non, ne prends pas le risque de les toucher, ou même de les effleurer de ton souffle. Cabot ! Je t'offre le privilège de mon avertissement !
- Et je vous sais véritablement sérieuse, et je devine que vous n'aurez aucun mal à mettre en place vos menaces. Nous ne nous frotterons jamais à la Paix, la Guerre et la Désolation dans le but de lui vouloir du mal ; nous ne sommes pas fous à ce point ! lui répliqua-t-il. Néanmoins, vous faites erreur sur de nombreux points, Madame Horline. Ma meute - comme vous la nommez - ne m'appartient pas. Je suis alpha, mais pas l'alpha de notre meute.
Elle ne le questionna guère, parce qu'il n'attendait que cela. Irène savait qu'il lui révélerait une information qu'elle n'était pas prête à entendre et elle désira soudainement prendre la fuite, abandonnant ses amies aux mains des cabots. Toutefois, ces derniers l'avaient retrouvée. Le monde entier semblait la pourchasser depuis des décennies, mais ces loups se démontraient être les heureux gagnants. Ils pourront se vanter pour l'éternité d'avoir coincé Irène Horline. Ce silence pesant convainquit l'homme de prononcer ce nom. Un nom présent dans sa mémoire, qui y était fiché, figé, incrusté ; un nom qu'elle n'aurait oublié. Les loups cessèrent de grogner quand elle accepta subitement de les suivre. Carline et Angelina furent aussi conduits dans une des nombreuses voitures et Irène ne s'en indigna pas, au contraire. Elle les croyait en sécurité auprès de cette meute, plus qu'ailleurs dans cet univers. Et pendant tout le trajet, notre noiraude se répéta en boucle les mots de l'homme.
- Stanislas souhaite s'entretenir avec vous, Madame.
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L'Insurrection [En correction !!]
Siêu nhiênIrène de Lister fuit son peuple, ses ennemis et ses alliés. Prometteuse vampire et Protectrice, tombée sous le charme de Gabriel Hastings, puissant sorcier, elle avait tout pour devenir une immortelle extrêmement importante et influente ; mais elle...