Chapitre 9

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Andreas assistait sagement à cette entrevue, comme si ces deux Immortels se connaissaient, s'appréciaient et s'harmonisaient. Pour lui, ce Stanislas était un ennemi. Soit parce qu'il détenait une meute influente, soit parce qu'il formait autrefois la Trinité avec ses homologues féminines. Donc, dans les deux cas, il ne saisissait pas du tout la situation. Pourquoi Irène s'était résolue à le rencontrer et pourquoi se parlaient-ils aussi aimablement ? Il assimilait tous les propos, mais n'en décelait pas le sens profond. Il se racla discrètement la gorge, le stress montait, mais il s'attira les regards nonchalants des deux autres.

Stanislas l'observait en intrus ; il s'interrogeait sur sa présence en ces lieux. D'après ses loups, Irène ne s'accompagnait d'aucun vampire. De personne d'ailleurs. Elle errait, solitaire. Il constatait qu'apparemment au moins un homme la côtoyait. Intérieurement, et il ne l'admettrait pas à haute voix, il se rassurait de sa condition. Elle ne désespérait pas sans allié. A cet instant, il confirma sa précédente pensée. Il aurait dû rassembler son courage et la soutenir trois cent ans auparavant. Maintenant, il espérait ne pas arriver trop tard.

- Si je puis me permettre, se risqua Andreas, repoussant le silence qui s'installait, pourrais-je savoir pourquoi un ignominieux hérétique tel que vous ose comparaître devant Irène ? Malgré vos péchés, malgré vos méfaits, malgré votre statut au sein de la Trinité, vous bravez les limites de la décence. De quel droit, maître de cet endroit et des caniches qui y résident, exposez-vous votre visage de traître à Irène ?

La noiraude retint péniblement un rire qui aurait été des plus sincères et bruyants. Andreas trouvait inéluctablement les mots pour la divertir et elle peinait toujours à réprimer ses fous rires. L'alpha, quant à lui, se renfrogna en premier lieu. Puis, il aperçut les lèvres pincées de la vampire et s'en amusa. Ses yeux s'étirèrent en une expression rieuse et il hésita à répondre à ce belliqueux blondinet aux airs férocement enfantins.

- Il fut un temps, certes, je me tenais près de Cordélia et Mélissandre, mais j'ai brièvement aboli cette époque, puisque leurs crimes pourrissaient de bien des façons mon existence. En outre, j'autoriserais la justice à me juger pour actes déplorables, lorsque tout ceci sera révolu. Ne vous méprenez pas, mon cher ! prévint l'alpha. Mes caniches et moi ne vous souhaitons nullement du mal, au contraire. Nous avons accueilli aujourd'hui Irène, afin de l'aider au mieux dans sa quête.

- Quelle quête ? s'enquit le blond, dans le but de s'assurer qu'ils étaient sur la même longueur d'onde.

- Celle de la Paix, la Guerre et la Désolation, voyons !

Peu convaincu de cette réponse qu'Andreas interprétait sûrement maladroitement, Irène opina du chef. A son grand dam, elle décela la tournure de la conversation. Une tournure qu'elle ne désirait pas aborder dans l'immédiat. Elle savait où Stanislas les menait, et elle ne se sentait pas prête pour résoudre la question qu'elle évitait prudemment. Elle anticipait même la réplique du loup et, avant qu'il n'ait pu parlé, elle glissa un regard froid vers lui, le dissuadant. Pourtant, elle devait avoir conscience du caractère borné et déterminé de cet homme.

- Vous fuyez, vous vous renforcez, mais vous ne contrattaquez. Je vous en conjure, Irène, opposez-vous à Mélissandre et délivrez une bonne fois pour toute le Monde Obscur. Je vous fournirai tous les loups dont vous aurez besoin, nous recruterons s'il le faut, mais cette guerre a suffisamment duré. Cinq siècles ! Quelqu'un doit conclure cette déraison et je crains que vous soyez la seule à remplier tous les critères.

- Pas encore, contredit-elle simplement. Pas le moment. Juste un peu plus longtemps.

Les propos de l'alpha rejetés, elle soupira lourdement. Elle adhérait à tous ses mots, mais l'heure primait sur sa volonté d'achever le conflit. Et ce n'était pas l'heure de riposter. Irène fit signe à Andreas de sortir. Stanislas souhaitait lui parler, elle le sentait, mais il fixait durement le vampire. Ce dernier bougonna, peu amène à la laisser en sa compagnie. Cependant, le regard appuyé de la noiraude l'obligea à se lever et à partir. Il retourna docilement à la pièce d'où Irène était apparue tantôt, croisant les mines mi-effrayées, mi-curieuses des deux amies mortelles.

- Confessez-vous, vieillard perdu dans sa fin. Dites-moi ce qui alourdit votre cœur.

- Vous le devineriez facilement ! asséna Stanislas. Ma culpabilité me coupe le souffle et c'est elle qui m'anéantit peu à peu. Je suis complètement conscient de mes erreurs et mes cauchemars ne reflètent que ma triste réalité. Mélissandre et moi sommes les uniques fautifs dans cette histoire. Cordélia, malade à cause du décès de votre père, ne ressentait plus aucun sentiment approprié, elle flottait sur une rivière pourpre et je ne l'en ai pas tirée. Nous l'avons suivi dans son délire de Trinité, elle se prenait pour une déesse et nous la vénérions... Je regrette tellement, Irène, si vous saviez à quel point je meure à l'idée d'avoir engendré tant de chagrin, tant de morts. Quand je songe aux cimetières qui se sont gavés des cadavres semés par la Trinité. Même ma honte quotidienne n'est point suffisante... Il y a trois cent ans, à Kolhapur, je vous ai poussée à vous éloigner de moi et de Mélissandre, mais, chaque soir, je priais pour vous retrouver. Afin d'expier mes terribles péchés. J'effacerais un milliard de fois le soir de l'Insurrection, si j'en avais les capacités... Je n'ai demandé le pardon, puisque je ne mérite aucunement de le recevoir. Vous êtes assise en ces lieux, Irène, par pure égoïsme. Parce que je me rachèterai en vous épaulant. A vos côtés, je pourrais mourir serein. Je vous encouragerais pour l'éternité, jusqu'à ce que vous passiez à l'action, et je serais présent quand Mélissandre sera pulvérisée. Là, et seulement à cet instant précis, je me conduirai au pied de la justice et je consentirai à tous les châtiments... Aujourd'hui, maintenant et pour toujours, je me soumettrai à vos volontés. Irène, par pitié, croyez-moi ; mon authentique loyauté, mon allégeance est vôtre ; mon esprit, mon âme, mon corps et ma meute seront vôtre pour les siècles des siècles.

L'Insurrection [En correction !!]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant