1. Un homme heureux

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13 ans plus tôt.

Gustin Montnoir avait tout pour être heureux. Il habitait l'un de ces gratte-ciels en verre qui s'élevaient en périphérique de la métropole. Il faisait bon vivre dans ce quartier moderne et Gustin aimait la vue dégagée qu'il avait depuis les fenêtres de son cinquante-sixième étage.

Il lui arrivait de temps à autres de se lever à la pointe du jour pour observer le soleil éclairer sa ville petit à petit. S'il se mettait sur la pointe des pieds, tourné vers une certaine direction, il apercevait même, lorsque le temps n'était pas couvert, le dôme brillant d'un ancien bâtiment qui avait survécu aux caprices du temps. Pendant un instant, la pointe se mettait à scintiller comme un diamant avant de retomber dans l'ombre.

Ce soir-là, une épaisse brume enveloppait cependant les rues et Gustin voyait à peine où il mettait les pieds. Il faillit se faire renverser par un véhicule volant qui filait à vive allure.

— Faites donc attention, protesta-t-il inutilement après avoir bondi sur le trottoir.

Le chauffard insouciant avait déjà disparu à l'horizon.

Maugréant dans sa barbe inexistante des insultes imagées de son invention, Gustin poursuivit sa route sur quelques mètres avant d'atteindre l'entrée de son immeuble. Il fit coulisser la porte et s'engagea dans l'élévateur après avoir appuyé sur le numéro 56. L'appareil s'éleva aussitôt sans la moindre secousse. Trois secondes plus tard, les portes s'ouvrirent directement dans le petit appartement propret que Gustin habitait avec son épouse et son fils.

De grands bruits de casseroles se faisaient entendre depuis la cuisine. Claire rentrait généralement du travail quelques minutes avant son mari et avait pris ces derniers temps l'étrange manie de faire la cuisine à l'ancienne.

— Papa ! s'exclama une petite voix.

Gustin ouvrit les bras pour réceptionner Arthur, son jeune fils âgé de trois ans qu'il aimait plus que tout au monde.

— J'ai fait le plus beau dessin de la classe aujourd'hui, déclara le petit garçon brun en bombant le torse avec fierté.

— C'est bien mon fils, répondit Gustin en le soulevant. Mais je n'en attends pas moins de toi. Tu es mon petit génie, n'est-ce-pas ?

Arthur acquiesça solennellement.

— Bien sûr que oui. Personne ne peut me battre !

Gustin réprima un sourire amusé en rejoignant sa femme dans la cuisine. Claire était en train de touiller vigoureusement une pâte visqueuse.

— Maman va encore nous faire manger quelque chose de dégoûtant, chuchota avec réprobation le petit garçon d'une voix parfaitement audible.

Gustin ne put cette fois-ci s'empêcher de glousser.

Claire fronça les sourcils.

— C'est vrai, quoi, s'agaça Arthur. Pourquoi ne mangeons-nous pas à la maison de la nourriture déjà préparée comme à l'école ?

— Parce que ta mère a besoin de tester ses capacités artistiques, répondit Gustin en riant de plus belle.

— Beurk.

L'enfant se tortilla pour être posé à terre et alla s'installer devant une table où il entreprit de feuilleter un ancien livre de cuisine en papier d'un air maussade.

Claire versa une dose généreuse d'huile dans une poêle qu'elle avait préalablement mise à chauffer.

— Vous avez bien tort de vous moquer des méthodes d'autrefois, déclara-t-elle en remuant énergiquement. Peux-tu m'apporter le livre, mon chéri.

Daemoniaci. La geste d'Arthur Montnoir, livre 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant