35. La potion d'invulnérabilité

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Arthur attendit plusieurs heures avant de se lever. Des ronflements remplissaient depuis longtemps déjà le dortoir commun de Bellefontaine lorsqu'il se faufila enfin hors de son lit. Le jeune homme s'avança vers la porte sur la pointe des pieds. La couverture de Georges s'agita. Le jeune homme se figea. Son camarade de chambrée se contenta cependant de se retourner.

Le couloir et l'escalier étaient aussi déserts que silencieux. Arthur ressortit la petite lampe de poche qu'il avait toujours sur lui pour éclairer prudemment les marches.

La porte du sanctuaire n'était pas surveillée. Les mages négligeants s'étaient contentés de donner un coup de clef à la porte qui en protégeait l'entrée. Arthur n'eut aucune difficulté à la déverrouiller et pénétra tranquillement dans la pièce ovale.

Les torches le long du mur avaient été éteintes. La seule lumière provenait du bassin lui-même qui brillait d'une lueur verdâtre. La puissance de la source était encore plus perceptible de nuit.

Arthur éteignit sa lampe qui n'était plus nécessaire et s'approcha de la source. Il en effleura la surface froide du bout des doigts. L'obscurité alentour lui permit de discerner des petits crépitements qui lui avaient échappés lors de sa première visite.

La potion d'invulnérabilité... Cette idée l'obsédait depuis qu'il avait lu quelques lignes sur le sujet dans l'ouvrage de l'oncle de Loreline. L'eau de Bellefontaine pourrait-elle convenir à la fabrication d'un tel breuvage ?

Le jeune homme retira ses doigts et contempla les gouttes qui glissaient de sa peau. Les vertus de la source étaient indéniables. Il était persuadé qu'il pourrait en tirer quelque chose à condition de s'y prendre de la bonne façon. Et pour cela Arthur allait devoir utiliser ses pouvoirs à plein puissance.

Pour que le sort soit le plus efficace possible, il devait pénétrer au cœur du bassin. Arthur retira ses chausses, résigné. La perspective de se plonger dans l'eau sombre ne le ravissait guère. Il s'accroupit néanmoins le long du rebord et s'enfonça lentement dans la source. Ses vêtements trempés s'alourdirent, rendant sa progression plus pénible à chaque instant. Il s'arrêta en plein centre du bassin. L'eau lui montait jusqu'à la taille.  Il ouvrit une petite fiole en verre doré et se prépara mentalement.

La source incarnait la glace. Il devrait être le feu personnifié pour pouvoir la dompter. Il allait user ses pouvoirs jusqu'à la corde, exploiter les quelques forces qu'il avait récupérées après son expédition à l'Académie des mages. Il n'avait pas le choix, il devait réussir.

— Gouttes, rassemblez-vous, dit-il à voix haute.

L'eau se contenta de frémir. La source lui résistait, se sentait profanée.

Il insista, puisa dans ses dernières forces. Sa main maudite le tançait sévèrement. L'eau à présent bouillonnait, prise de frénésie. Des jets d'eau s'élancèrent jusqu'au plafond.

— Venez à moi ! ordonna Arthur en brandissant la fiole au dessus de sa tête de sa main épargnée.

Les flots refusèrent d'obéir, cherchèrent à le noyer sous leurs étreintes glacées.

Puis, soudain, l'eau céda d'un seul coup. Une cascade se déversa sur le jeune homme, se faufilant dans un grand bruissement à l'intérieur du flacon. Un intense silence se fit alors entendre. Arthur s'autorisait enfin à tomber à genoux sur la pierre glaciale. Le bassin était entièrement sec. Il en avait extrait jusqu'à la dernière goutte.

Arthur rouvrit le poignet dans lequel il tenait la fiole. C'était celle qui avait naguère contenu ses souvenirs volés. Le jeune homme appréciait l'ironie. Le récipient qui l'avait si longtemps privé d'une partie de lui-même allait à présent lui servir à devenir plus fort que jamais.

Le liquide condensé à l'extrême ne le remplissait pas même à moitié. Il était d'une couleur verte translucide. Sans attendre davantage, il le but d'une traite. Il fut aussitôt pris de frissons incontrôlables. Arthur aurait hurlé si le froid ne lui avait brûlé la gorge. Il sentait le liquide descendre le long de son intestin. Il avait l'impression que l'intérieur de son corps était en train de geler et s'enflammer en même temps.

Puis tout prit fin avec la même brusquerie que celle avec laquelle la source s'était soumise à lui.

Il contempla sa main. La peau était toujours abîmée, mais la contamination avait nettement reculé. Il ne ressentait plus aucune douleur. La malédiction était toujours là. Même ralentie, elle continuerait à s'étendre et causerait un jour sa perte. Mais Arthur avait gagné un temps précieux. Surtout, il cesserait d'avoir si mal à chaque usage de ses pouvoirs.

Arthur entendit soudain une exclamation qui résonna dans la salle ovale. Il se retourna et vit Georges qui contemplait le bassin vide avec horreur.

— L'eau..., bredouilla-t-il. L'eau a disparu !

Son regard se leva vers Arthur.

— Qu'as-tu donc fait ?

Le jeune homme haussa les épaules.

— Ce qu'il fallait faire. J'avais besoin de cette eau.

— Mais... et tous ces pauvres gens qui comptent sur la source pour soulager leurs maux...

Le jeune homme leva la main pour lui signifier de se taire. Il y avait une expérience qu'il souhaitait tenter.

— Regarde donc, lança-t-il à Georges.

Il sortit un petit poignard aiguisé. Et l'enfonça dans la paume de sa main. Georges eut à nouveau une exclamation étouffée. Lorsque Arthur retira la lame, ils purent tous deux constater que sa peau n'était traversée que par une mince coupure qui cicatrisait déjà.

Arthur était enchanté. La souffrance qu'il aurait dû ressentir avait été brève, remplacée par une vague sensation de pincement.

Georges le regardait comme s'il avait en face de lui un monstre.

— Qui es-tu ? demanda-t-il d'une voix blanche.

Arthur sourit.

— Je peux bien te répondre, tu en as déjà malheureusement trop vu. Je suis Athanasios.

Il vit les yeux de Georges s'écarquiller de peur. Le jeune bourgeois n'eut cependant pas le temps de réagir d'une autre façon. Avant d'avoir eu le temps de prononcer le moindre mot, il tomba raide mort.

Lorsque les mages ouvrirent le sanctuaire le lendemain matin, ils ne trouvèrent au fond de leur précieux bassin qu'un cadavre recouvert de pustules.

Daemoniaci. La geste d'Arthur Montnoir, livre 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant