30. Le livre

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Arthur resta convalescent pendant deux semaines. Les premiers jours, il se sentait si mal qu'il resta allongé dans son lit à dormir, incapable de se concentrer. Les soins prodigués par le guérisseur et le repos finirent par lui rendre quelques moyens. Il consacra alors ses journées à feuilleter avec passion l'ouvrage qu'il avait rapporté de la bibliothèque. Le livre de l'oncle de Loreline se révéla en effet une véritable mine d'informations.

Les pouvoirs d'un daemoniacus ne cessent de croître avec le temps, lisait Arthur ce matin-là. Les capacités apparaissent vers cinq ou six ans. À ses débuts, l'enfant développe en règle générale un don ou une affinité particulière avec un élément. J'ai par exemple découvert mon état en ouvrant un jour le robinet de la salle de bain. Les gouttes d'eau qui en sortaient suivirent ma main plutôt que de continuer à s'écouler dans l'évier. Quelques années plus tard, j'étais capable de convaincre la pluie de ne pas tomber ou de vider une fontaine en un claquement de doigts ou un haussement d'épaule.

Arthur était tout excité. Il avait eu lui-même une relation semblable avec le feu. Encore aujourd'hui, c'était l'élément qui continuait à mieux lui obéir. Et il était ravi d'apprendre que ses pouvoirs continueraient d'augmenter au fil des années.

Certains daemoniaci disposent de capacités différentes. J'ai connu une enfant qui parvenait à parcourir les pensées des gens. Un autre qui imposait sa volonté aux autres esprits. Et il existe assurément toutes sortes d'autres cas de figure que je n'ai eus l'occasion d'observer.

Cette dernière catégorie pourrait être celle de Rose, sa sœur. Arthur était convaincu que cette dernière parvenait d'une manière ou d'une autre à dissocier son corps de son esprit. Il n'arrivait pas encore à comprendre de quelle façon elle s'y prenait.

En grandissant, les daemoniaci les plus puissants parviennent à s'approprier des pouvoirs de plus en plus divers.

Usons-nous donc, comme on le prétend dans mon monde d'origine, de capacités évolutives ou pratiquons-nous la magie aussi bien que les habitants de Mundus ou même que les elfes ? J'ai longtemps penché pour la première option avant d'adopter la seconde.

Nous ne reposons pas sur la formulation de mots comme les mages d'ici. Mais nous pouvons agir aussi bien qu'eux. Pourquoi cela ne constituerait-il donc pas également de la magie ?

Arthur entendit la porte de sa chambre s'ouvrir à la volée. L'instant d'après, Tassilon se dressa à son chevet, les dents serrées.

- Qu'est-ce qu'il y a encore ? soupira le jeune homme en remontant sa couverture jusqu'au menton.

Le Prince Noir se mit à déambuler dans la pièce d'un air excédé.

- Je vais demander à Brunehaut sa main, déclara-t-il à brûle-pourpoint après être passé deux fois devant le lit. C'est en effet, à mon grand regret, la meilleure solution.

- Et bien... euh... félicitations, répondit Arthur qui ne savait pas quoi dire d'autre.

Son ami ressemblait cependant davantage à un condamné à mort préparant son enterrement qu'à un futur marié épanoui.

- Ne sois pas ridicule Athanasios, s'agaça Tassilon en accélérant le rythme de sa marche. Inutile de me féliciter. Il s'agit d'une union purement politique. Et encore faut-il que Brunehaut accepte.

Le ton de sa voix indiquait clairement son espoir d'être éconduit.

Arthur le plaignait. Il était bien conscient que ce mariage ne serait pas heureux.

- Je vais être absent quelques semaines, soupira Tassilon. Mon père estime que je dois aller quérir la main de la reine en personne. Tu arriveras à ne pas te plonger dans les ennuis jusqu'au cou pendant mon absence ?

- Je suis parfaitement capable de me débrouiller seul, merci, s'indigna Arthur avec dignité.

Tassilon observa son lit avec insistance.

- Je vois. Ta dernière petite escapade en solitaire t'a en effet été très profitable.

Arthur ne releva pas la pique.

- Ne t'en fais pas pour moi. Pars plutôt compter fleurette à ta promise.

Le Prince Noir frissonna de dégoût.

- C'est ça. Compte sur moi.

Puis il quitta la pièce, le pas lourd.

Arthur se replongea dans sa lecture, avançant de quelques feuillets. Une page attirait particulièrement son attention. Elle avait comme titre : "potion d'invulnérabilité". Le jeune homme l'avait si souvent consultée qu'elle en était toute cornée.

La magie est bien plus présente sur Mundus que dans mon monde d'origine, disait l'auteur. Mes visites autour du monde m'ont permis notamment de découvrir plusieurs sources miraculeuses dotées d'incroyables capacités. Celle du sanctuaire de Bellefontaine en est l'une des plus prometteuses. Les habitants de Mundus y font des cures. Plonger un membre blessé dans son bassin facilite et accélère la guérison. L'effet en est cependant modéré. Je suis d'avis que cette source pourrait être utilisée pour élaborer une potion aux grands effets curatifs. Concentrer cette eau à l'extrême jusqu'à la faire tenir dans un flacon offrirait à mon sens à celui qui la boirait un corps presque si peu sujet aux maladies et si résistant aux agressions qu'il en deviendrait presque invulnérable. Un coup de poignard ressemblerait à une griffure et même les balles ne pourraient traverser la peau.

L'invulnérabilité...

Arthur contempla la peau noircie de sa main. La malédiction rongeait sa chair. Elle ne prendrait fin qu'à la mort d'Absalom. Pouvait-il vraiment obtenir un moyen de la ralentir ?

Je n'ai jamais bien sûr tenté de fabriquer une telle potion, précisait l'oncle un peu plus loin. Il me semblait bien mal de profaner ainsi une telle source.

Arthur referma l'ouvrage d'un claquement sec. Lors de son interminable séjour au château d'Aspignan, alors qu'il était privé de ses souvenirs, il avait consulté avec passion un grand atlas illustré. Il se souvenait bien d'avoir vu positionné sur une carte le sanctuaire de Bellefontaine. Par un heureux hasard la source ne se trouvait qu'à quelques lieues à peine du château de Beaumont où se trouvait la porte intermondiale. Il pourrait y être en moins de deux jours de chevauchée et serait de retour bien avant Tassilon. Le jeune homme était à présent assez bien remis pour pouvoir voyager. Il suffisait d'attendre le départ du Prince Noir...

Arthur se redressa. Il avait bien réfléchi. Quelque soit la faiblesse de son état, il voulait se rendre à Bellefontaine. Cette potion d'invulnérabilité représentait sans doute son dernier espoir de pouvoir se fortifier en dépit de la malédiction.

Arthur devait auparavant mettre Charlotte à l'abri. Elle serait mieux sur Terre, dans son manoir. Les conditions y seraient plus douces. Et, surtout, elle aurait plus de difficulté à tenter de s'y échapper.

Daemoniaci. La geste d'Arthur Montnoir, livre 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant