31. La proposition

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Tassilon arriva enfin au sommet de cet escalier interminable. La montée jusqu'à la Montagne Blanche en cette rude journée d'hiver avait été atroce.

Il observa le palais avec lassitude. La première et dernière fois qu'il était venu ici, cela avait été comme prisonnier. Il n'avait visité du royaume des elfes blancs que ses cachots. Sans Athanasios, peut-il y serait-il toujours enfermé. Il revenait à présent en tant qu'allié. Son escorte composées de plus de cinquante guerriers aurait dû sembler impressionnante. Elle l'était beaucoup moins depuis que le vent de la montée les avait recouverts d'un mélange de neige et de boue.

La perspective de son entretien à venir avec Brunehaut terrifiait Tassilon. Le Prince Noir était tiraillé par un désir instinctif de s'enfuir en courant. S'il n'avait été suivi de toute son escorte et n'avait pas craint le ridicule, il l'aurait peut-être fait.

Une délégation les attendait et les introduisit dans le vestibule du bâtiment principal sans plus tarder.

Une lourde odeur de fleur chatouillait les narines du Prince Noir. Il n'y avait que les elfes blancs pour s'encombrer de verdure au beau milieu de l'hiver. Tassilon n'avait pas la moindre idée de la façon dont ils s'y étaient pris pour trouver cette avalanche de roses blanches qui dégoulinaient de partout.

Les elfes blancs venus les accueillir étaient vêtus de draps soyeux cousus de fils d'or. Pour la première fois, Tassilon se sentit gêné dans sa tunique elfique très simple qui n'était rehaussée que par une bande de motifs elfiques. Le fait qu'elle soit maculée de boue n'aidait pas.

L'immense salle du trône dans laquelle on le conduisit faisait également passer celle de la Montagne Noir pour un gîte rural.

De manière contrastée, Brunehaut était assise sur un trône en bois positionné sur une estrade. Un diadème très simple était posé sur ses cheveux dorés. Elle était belle, d'une beauté terrifiante. Son visage était de marbre mais Tassilon savait très bien que cette sagesse n'existait qu'en apparence.

Le Prince remarqua cependant quelque chose de nouveau, une petite étincelle de doute qu'il n'avait encore jamais vu dans le regard de sa cousine. De son ancienne cousine.

Le jeune elfe se rendit soudain compte qu'il n'avait pas la moindre idée de la façon dont il allait s'adresser à elle. "Cousine" ? Mais non, il venait de se dire qu'elle ne l'était plus. "Votre majesté" ? Et puis quoi encore ? Il ne voulait pas paraître inférieur. "Brunehaut" ? Oui, mais tout le monde savait à présent que ce n'était pas son véritable prénom. "Junie" ? Cela sonnait étrange à ses oreilles mêmes.

Pendant ses réflexions, la distance qui le séparait du trône n'avait fait que rétrécir. Tassilon se retrouva soudain à un mètre de Brunehaut. Et il ne savait toujours pas quoi lui dire ! Pris au dépourvu, il décida d'attendre que son ancienne cousine prenne la parole la première. Oui, c'était une excellente idée. Il se contenta donc de la toiser sans un mot, tandis que tous les regards convergeaient vers eux. La reine haussa un sourcil. Il pinça les lèvres. Elle pencha la tête sur le côté. Il resta de marbre.

— Eh bien quoi, tu as perdu ta langue, imbécile ? finit-elle par lui lancer.

— Je parle quand je veux, crétine ! riposta aussitôt le Prince Noir.

"Crétine" était finalement une excellente appellation, songea-t-il férocement.

Il n'était en sa présence que depuis moins d'une minute et Brunehaut commençait déjà à l'exaspérer. Que les dieux lui viennent en aide ! Il ne voulait pas épouser une telle femme ! Athanasios pouvait bien parler, ce n'est pas lui qui se retrouverait lié à sa cousine. Son ancienne cousine. Oh et puis peu importe ! Et cet humain pourrait d'ailleurs commencer par se comporter lui-même de manière raisonnable. La fille d'Aspignan ne lui apporterait rien de bon, c'était l'évidence même.

Daemoniaci. La geste d'Arthur Montnoir, livre 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant