Daemoniaci. La geste d'Arthur Montnoir, livre 2

2. L'intrus

Dix ans plus tôt

Tassilon marchait rageusement, faisant crisser les feuilles mortes sous ses pas. Il arracha d'une main une petite branche et la réduisit en miettes avant de jeter les morceaux sur le sol. Se comporter ainsi de manière aussi peu digne d'un elfe ne suffit pas à calmer sa colère mais lui procura une vague sensation de satisfaction.

Il finit par se hisser sur une pierre recouverte de mousse jaune sur laquelle il s'assit, ruminant son ressentiment. Il était absolument furieux. Furieux contre ses imbéciles de camarades qui le tenaient à l'écart de leurs jeux. Furieux contre ses parents qui ne le prenaient pas au sérieux. Furieux contre le monde entier.

D'accord, il n'aurait sans doute pas dû s'en prendre aussi violemment à Grégoire, mais ce dernier l'agaçait. Toujours à être collé à sa cousine.

Et son père qui l'avait réprimandé comme un enfant...Tassilon était pourtant âgé de 12 ans. C'était certes jeune pour un elfe, mais ce n'était pas une raison pour le traiter comme tel... Il avait tant hâte de pouvoir faire ses preuves en tant que guerrier. Il était, après tout, l'un des meilleurs combattants de sa classe d'âge.

Il y eut un bruit d'explosion et une forme se matérialisa soudain à quelques mètres de lui.

Le jeune prince écarquilla les yeux. Un garçon se tenait face à lui, le regard vide. Il portait des vêtements étranges, couverts d'un sang qui ne semblait pas être le sien. Et il y avait quelque chose de bizarre à propos de ses oreilles. Elles étaient bien plus courtes que celles que Tassilon avait l'habitude de voir. S'agissait-il... d'un humain ? Il était minuscule. Sans doute n'était-il encore qu'un enfant.

Tassilon n'avait encore jamais rencontré un membre de cette espèce ennemie. Que faisait ce petit humain en plein cœur du domaine des elfes noirs ? Comment donc s'était-il transporté ici si soudainement ?

Le prince réfléchit encore un instant, puis finit par conclure que cela n'avait pas plus d'importance que cela. Le principal était de commencer par se débarrasser de cet envahisseur. Les humains n'avaient rien à faire ici. Ils étaient les pires ennemis de son peuple, depuis leur arrivée sur les terres des elfes.

Tassilon sortit lentement le coutelas qui ne quittait jamais sa ceinture. Il avait déjà achevé des animaux lors de chasses, mais n'avait encore jamais tué un être si semblable à lui.

« Il faut une première fois à tout », songea-t-il pour se donner du courage. « Les humains sont nos adversaires. Je deviendrai un adulte après cela. Les autres ne pourront que me respecter ».

Le petit humain tourna ses yeux éteints vers lui. L'elfe ne put s'empêcher d'être troublé. Pourquoi l'enfant ne se mettait-il pas à courir ? Il ne semblait même pas avoir peur. N'avait-il pas compris ce qui allait lui arriver ?

—Je vais te tuer, le prévint alors Tassilon.

Avertir l'humain lui permit étrangement de se sentir un peu plus à l'aise.

Le garçon, cependant, ne réagissait toujours pas.

« Évidemment », se gronda l'elfe, « il ne parle pas l'elfique ».

—Je vais te tuer, répéta-t-il en utilisant cette fois-ci la langue commune de Mundus. Tu vas mourir. Là, maintenant. J'arrive.

L'humain ne bougeait toujours pas.

« Il est idiot ou quoi ? ».

Tassilon fit un pas en avant d'un air menaçant.

Le petit resta figé.

L'elfe leva son poignard de manière bien visible. Et se retrouva projeté en arrière, s'écrasant douloureusement contre un arbre quelques mètres plus loin. Il se releva avec une grimace et tourna les yeux vers le garçon qui n'avait pas bougé d'un centimètre.