6. L'escalier en verre

220 47 170
                                    

Ce fut l'explosion de la fenêtre qui réveilla Gustin.

Il ne prit le temps que d'échanger un bref regard avec son épouse avant de se précipiter tous deux hors du lit. Ils avaient pris l'habitude ces derniers mois de dormir tout habillés. La Brigade agissait habituellement de nuit.

L'alarme anti-intrusion rugissait de façon assourdissante. Tandis que Claire s'avançait les bras levés vers le salon occupé par les soldats pour tenter de gagner du temps, Gustin s'élança en direction de la chambre de leur fils qui se trouvait au bout du couloir.

Arthur était assis sur son petit lit, les yeux écarquillés par la peur, et serrait contre lui sa peluche dragon favorite.

— Papa, que se passe-t-il ? bredouilla-t-il.

— Chut mon chéri. Ne pose pas de question.

Gustin souleva le garçon dans ses bras et se dirigea aussitôt vers la salle de bain. Il posa Arthur un instant pour poser son pouce sur le lecteur d'empreinte digitale d'urgence. Le gratte-ciel disposait d'un escalier d'évacuation qui ne devait être utilisé qu'en cas d'incendie ou de force majeure.

Une porte étroite s'ouvrit automatiquement sur la cloison externe de la pièce. Gustin se ressaisit de son fils et lui fit passer l'ouverture.

Pour des raisons esthétiques imaginées par l'architecte du bâtiment, la structure de l'escalier était majoritairement composée de verre pour être presque invisible. Si le résultat visuel était époustouflant, il présentait le gros inconvénient de rendre pour le moins vertigineuse l'utilisation de cet escalier de secours. Gustin pouvait voir sous ses pieds les minuscules lumières des phares de voiture, cinquante-six étages plus bas.

Arthur poussa un gémissement de frayeur et s'agrippa au pantalon de son père.

— Je ne veux pas aller ici, pleura-t-il. Où est Maman ?

Gustin s'efforça de prendre un ton rassurant.

— Il n'y a aucun danger. Maman nous rejoindra plus tard.

Il souleva Arthur et le retint d'une main tandis qu'il posait l'autre sur la rambarde transparente de l'escalier. Puis il commença à dévaler les marches. Combien d'étages parviendraient-ils à descendre avant d'être repérés ? Gustin voyait filer dans les airs plusieurs appareils volants lumineux portant le triangle rouge entouré d'un cercle, symbole de la Brigade.

« Je dois y parvenir », songea Gustin avec détermination. « Pour mon fils ».

Il s'obligeait à ne pas s'inquiéter pour Claire. Elle lui avait promis de ne pas chercher à résister.

Arthur avait collé son visage contre le torse de son père et tremblait de tous ses membres.

« Et de dix », compta Gustin en arrivant à un nouvel étage.

Il se concentrait sur ses calculs pour ne pas penser au vide sous ses pieds. Plus que quarante-six paliers et ils toucheraient la terre ferme.

— Ils sont ici ! cria une voix lointaine.

Gustin leva les yeux. Une femme vêtue de la combinaison noire de la Brigade les tenait en joue depuis l'ouverture de l'appartement.

« Ce n'est pas le moment de fléchir », se fustigea Gustin. « Il me faut continuer à tout prix ».

Une balle heurta l'escalier à quelques mètres de lui, éraflant la structure en verre.

— Rendez-vous ! ordonna un autre soldat qui venait de rejoindre la femme.

Trois appareils volants se dirigèrent dans la direction des fuyards, leurs canons pointés en position d'attaque.

« Ils ne vont pas tirer », chercha à se persuader Gustin. « Ils n'en ont pas le droit tant que nous ne représentons pas un danger ».

Au moment même où cette pensée traversait son esprit, une grenade jaillit de l'un des appareils et fit voler en éclats une partie de l'escalier, trois marches en dessous de Gustin. Ce dernier n'eut que le temps de se réfugier sur le palier supérieur avant qu'une partie des marches ne s'écroule devant lui sur l'étage de dessous dans un grand bruit de verre brisé.

Gustin jeta un coup d'œil vers le haut. Les soldats commençaient déjà à dévaler l'escalier. Ils étaient pris au piège.

Gustin baissa cette fois-ci le regard. La palier inférieur était encore intact, recouvert de bris de verre.

Il enjamba résolument la rambarde.

« Papa ! Non, ne fais pas ça », gémit Arthur en s'agrippant de plus belle.

Son père lui sourit.

— Ne t'inquiète pas.

Serrant son fils dans ses bras pour le protéger au maximum, il sauta.

L'atterrissage fut horriblement douloureux. Les jambes de Gustin entrèrent violemment en contact avec la surface vitrée et des tessons de verre s'enfoncèrent dans ses genoux.

Il hurla.

— Papa ! cria Arthur, paniqué.

Gustin examina le petit garçon avec attention.

— Tout va bien ? Tu n'es pas blessé ?

Arthur secoua la tête, les joues recouvertes de larmes.

— Papa, bredouilla-t-il, tes jambes...

— Ecoute-moi bien, le coupa Gustin. Tu vas devoir continuer tout seul. Maman essaiera de te retrouver au parc où nous allons régulièrement nous promener, devant le marchand de glace.

— Non, pleura Arthur. Je ne veux pas partir sans toi !

Gustin prit un air sévère.

— Il le faut.

— Non ! Non ! Non !

Gustin entendait des bruits de pas au-dessus de sa tête. Les soldats les rejoindraient bientôt. Les appareils volants les entouraient.

Il serra Arthur dans ses bras, désespéré. Il était trop tard pour fuir.

La femme qui l'avait interpellé se dressa devant eux.

— Donnez-moi le daemoniacus, ordonnant-elle froidement.

— Non, bredouilla Gustin. Pas mon fils. Il doit y avoir une erreur...

La femme sortit son arme.

— Dernier avertissement.

Un second soldat s'avança avec un taser. Gustin poussa un cri, desserrant momentanément sa prise sous l'effet de la douleur. Arthur lui fut aussitôt arraché.

— Non !

— Papa !

Le petit garçon se débattait de toutes ses forces. Mais, déjà, il se faisait emmener au loin.

— Je viendrai te chercher, cria Gustin dans un dernier effort. Je vais régler ce problème et viendrai. Je te le promets, Arthur.

Puis il perdit connaissance et sombra dans les ténèbres.

Daemoniaci. La geste d'Arthur Montnoir, livre 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant