34. Le bain

139 25 162
                                    

— Puisque je vous dis que je n'ai pas la moindre envie d'épouser cet imbécile ! s'époumonait Brunehaut depuis un bon moment.

Ce qui laissait le Conseil de marbre.

— Ma reine, répéta le grand prêtre pour ce qui devait être la troisième fois. Soyez raisonnable. Le destin des souverains est de servir l'intérêt de leur peuple. Feue notre souveraine, votre mère, n'a également pas choisi son époux. Elle a été mariée à un prince d'une autre contrée dans le but de raffermir des liens entre nos peuples. Vos parents ne se connaissaient pas jusqu'au jour de leur union. Et, pourtant, ils se sont aimés tendrement jusqu'à la mort de votre père.

— Mais moi je connais Tassilon, justement, s'agaça Brunehaut sans se laisser attendrir par ce discours larmoyant. Ni lui ni moi n'avons rien de tendres.

Elle tapota les accoudoirs de son trône avec agacement. A quoi cela servait-il d'être reine si elle ne pouvait agir à sa guise ?

— N'aviez-vous pas déclaré vouloir réunifier le peuple des elfes ? observa perfidement une vieille elfe. Cet hymen avec le Prince Noir vous permettrait assurément d'atteindre ce but. Votre enfant au sang mêlé serait l'héritier des deux royaumes.

— A condition qu'il soit reconnu par notre Conseil, tempéra un autre vieillard croûlant. Nous ne sommes pas tenus à la stricte règle de la primogéniture, contrairement aux elfes noirs.

Un grand débat s'ensuivit tournant autour de l'hypothétique enfant que Brunehaut n'avait pas la moindre intention d'avoir avec Tassilon. La jeune elfe se sentait ulcérée d'avoir aussi peu de prise sur son propre destin. Au fond d'elle-même, elle savait bien qu'ils avaient raison, ce qui l'agaçait encore plus.

Elle avait longtemps cru n'être que nièce de roi. Cette position sociale secondaire l'aurait laissée libre de se choisir un époux à sa guise. Elle s'était figurée qu'elle épouserait un jour Grégoire, son amour d'enfance. Elle avait bien conscience en devant reine des elfes blancs que son désir ne pourrait se concrétiser. Grégoire était un elfe noir. Il n'était qu'un guerrier sans glorieuse ascendance. Leur séparation aurait été inévitable.

Qu'est-ce que Brunehaut pouvait donc faire d'autre ? Renoncer au trône ?  Le laisser à cet odieux prince Persée ?

La reine se leva soudain. Elle ne supportait plus d'entendre toutes ces discussions.

— Fort bien, déclara-t-elle. J'épouserai le Prince Noir. La séance est levée. Dégagez maintenant.

Les membres du Conseil la regardèrent avec de grands yeux, visiblement stupéfaits d'avoir eu gain de cause. Ils s'empressèrent de partir avant de la voir changer d'avis.

Brunehaut vit alors sortir le prince Persée. Après avoir songé un instant à l'exiler à l'autre bout du monde, la reine avait finalement jugé plus avisé de la garder à la cour, à sa portée. Ne disait-on pas qu'il fallait laisser ses ennemis près de soi pour pouvoir surveiller leurs agissements ?

— Toi là, lui lança-t-elle. Viens ici.

Persée la regarda, le visage sans expression. Il avait perdu un peu de sa superbe après sa défaite. Et une dent lorsque Brunehaut lui avait cassé la figure.

Il y avait une question qui ne cessait de tourmenter Brunehaut. Son concurrent avait-il été confronté à la même hallucination qu'elle ? S'était-il retrouvé face à cette horrible mare de sang ? Devait-elle sa victoire au refus de son adversaire d'y pénétrer ?

— Lors de l'épreuve des dieux, commença-t-elle d'un ton hésitant, qu'as-tu...?

Persée lui coupa aussitôt la parole.

Daemoniaci. La geste d'Arthur Montnoir, livre 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant