24. Fiançailles

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Les semaines passèrent. Le froid s'était durablement installé. L'automne s'achevait alors que les dernières feuilles mortes s'envolaient, emportées par les bourrasques.

Je n'avais encore jamais connu un temps aussi exécrable si tôt dans l'année. Les couches successives de vêtements que j'enfilais ne suffisaient pas à me réchauffer et je consacrais mes journées à claquer des dents.

Il ne se passait pas un jour sans qu'une dizaine d'elfes arrivent ou repartent, emportant des armes nouvelles ou venant s'exercer sous la sévère supervision de Katsuo.

Cette agitation ralentit cependant lorsque les premiers flocons de neige tombèrent. Ils fondirent le premier jour. L'air était si glacial et la terre si dure qu'ils recouvrirent le lendemain en quelques heures le paysage d'un manteau blanc sourd. Les quelques elfes qui parvenaient encore à nous rejoindre arrivaient frigorifiés et malades. Au bout d'une semaine plus personne n'osait s'aventurer sur les routes verglacées.

Les conditions climatiques semblaient laisser Arthur indifférent. Il parcourait inlassablement les environs, inspectait les cargaisons d'armes et discutait de stratégie avec Tassilon.

Je me trouvais ce jour-là à leurs côtés. J'avais supplié Arthur de me laisser prendre l'air quelques instants. Je le regrettai bien vite en sentant la morsure du froid sur ma peau.

— Nous devrions être bientôt prêts, commenta Arthur avec satisfaction tandis que je grelottais dans mon coin. Quand pourrons nous partir ? Le mois prochain ? 

Le Prince Noir lui jeta un regard surpris.

— Bien sûr que non. L'hiver n'est même pas encore commencé et tu as vu toute cette neige ? Ce n'est pas un temps pour guerroyer.

— Mais nous pourrions justement bénéficier de l'effet de surprise ! Personne ne s'attendra à nous voir arriver.

Tassilon soupira en prenant un air faussement patient.

— Athanasios, voyons. Il y a de bonnes raisons si les opérations militaires ne se déroulent pas sous la neige. Les déplacements seraient malaisés, le campement difficile. Et comment pourrions-nous déplacer les engins terriens que tu tiens absolument à utiliser ?

Le jeune homme pinça les lèvres.

— N'es-tu donc pas impatient ?  Je croyais que tu attendais ce combat contre les humains depuis des années.

Tassilon haussa les épaules.

— Nous avons patienté pendant des siècles. Nous ne sommes plus à quelques mois près.

Je les observais débattre avec inquiétude. Mais j'avais également mes propres soucis qui me rongeaient. Arthur m'avait pris ma vertu.

Le jeune homme était venu me voir presque tous les jours, tantôt doux et tendre, tantôt sombre et de mauvaise humeur. Sa présence me faisait souvent peur. Je me sentais de moins en moins à l'aise avec lui.

Je fus saisie d'un léger vertige et manquai tomber. J'étais faible depuis quelques jours. J'avais probablement pris froid et peu de nourriture nous parvenait en raison des difficultés de circulation. J'aurais eu besoin de m'alimenter bien davantage pour supporter ce froid terrible. 

Arthur se détourna de sa conversation et me regarda avec inquiétude.

— Tu devrais rentrer te mettre au chaud, me dit-il presque tendrement. Je te raccompagne.

Le Prince Noir nous regarda partir avec un regard sombre encore plus glacial que les stalactites qui tombaient du toit. Il n'avait jamais réussi à accepter ma présence et notre détestation était réciproque.

Le feu qui ronflait dans la cheminée de ma chambre ne parvenait que péniblement à rendre l'atmosphère plus supportable. J'approchai des flammes mes doigts bleuis.

Arthur me regardait depuis un moment d'un air impassible.

— Épouse-moi, déclara-t-il soudain.

Mes yeux s'arrondirent.  

— Je te demande pardon ?

— Tu m'as bien entendu.

Je cherchai désespérément à gagner du temps.

— Tu aurais pu imaginer une demande plus romantique.

Il me saisit la main avec autorité.

— Ce n'est pas une demande mais un ordre. Je suis fatigué d'attendre. Tu n'as de toutes façons pas le choix, n'est-ce pas ? Ton Sigebert de Beaumont ne voudra plus de toi, me lança-t-il avec mépris. Ni plus aucun homme du royaume. Tu es à moi, à présent.

Je sentis les larmes me monter aux yeux. Il avait raison. J'étais devenue une femme souillée. J'avais partagé plus d'une fois la couche d'Athanasios. Ma famille elle-même me repousserait sans doute, quelque soit l'amour qu'elle puisse me porter.

Je détournai le regard.

— Je ne trouverai plus ma place en société, commentai-je en ravalant ma honte. Mais sans doute était-ce que tu voulais, Arthur. Je suis devenue comme toi, une paria.

Il me regarda droit dans les yeux.

— J'aurais aimé t'éviter cela, m'assura-t-il. Je souhaiterais faire de toi une femme puissante, qui ne craindrait personne.

— Je me moque d'être puissante ! Être simplement heureuse me suffirait.

Le jeune homme serra les dents.

— On ne peut être heureux que puissant. Dans la vie, il faut dominer pour ne pas être écrasé.

Je soupirai.

— Comment as-tu pu changer ainsi ? lui demandai-je avec tristesse.

Il ne me répondit pas.

— J'aurais tant aimé que tu ne boives pas le contenu de ce flacon, murmurai-je.

Arthur eut un petit sourire triste.

— Il m'arrive aussi quelque fois d'avoir ce curieux souhait.

L'espoir me saisit.

— Pourquoi ne pas alors revenir en arrière ? Tu pourrais aller retrouver Absalom. Lui demander de t'effacer à nouveau la mémoire.

Le sourire du jeune homme s'effaça.

— Jamais je ne ferai quelque chose d'aussi stupide, cracha-t-il avec colère. Vous éprouvez tous une admiration aveugle pour Absalom qui vous empêche de comprendre qui il est réellement. La prochaine fois que nous nous retrouverons face à face, l'un de nous deux mourra. Et je peux t'assurer que j'ai grand hâte de me débarrasser de cette malédiction.

J'allais répliquer lorsque la porte s'ouvrit. La guerrière elfe qui entra m'ignora et ne s'adressa qu'à Arthur.

— Une personne vient de se présenter aux portes du domaine, annonça-t-elle en guise de préambule. Une femme humaine. Elle souhaite s'entretenir avec vous.
Le jeune homme sembla surpris.

— Une humaine ? Et elle veut me parler à moi ?

— C'est ce qu'elle a dit. Elle n'a pas précisé pourquoi.

— A-t-elle au moins décliné son identité ?

— Oui. Elle a affirmé se nommer Loreline. Il paraît que vous la connaîtriez.

Un dessin de Tassilon fait par @Lys-des-prairies 😊

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Un dessin de Tassilon fait par @Lys-des-prairies 😊

Daemoniaci. La geste d'Arthur Montnoir, livre 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant