La plus grande agitation régnait habituellement dans les rues de Tolone. Le prince Hugues n'avait cependant jamais été témoin d'une telle fébrilité. Depuis les fenêtres du palais royal, il voyait se succéder dans un désordre invraisemblable des files de charrettes et véhicules en tout genre remplis de ballots, vivres, bétail et enfants entassés pêle-mêle. À cela s'ajoutaient des cris, vociférations, insultes et odeurs désagréables qui offensaient les oreilles et le nez du prince.
— Que font-ils exactement ? demanda-t-il à son valet en refermant la fenêtre. Cherchent-ils à fuir la ville où viennent-ils au contraire s'y réfugier ?
— Les deux, votre Majesté. Certains estiment qu'ils seront en sécurité à l'intérieur des murailles. D'autres ont trop peur de l'avancée d'Athanasios pour oser rester sur son chemin.
Hugues colla son front contre les carreaux glaciaux de la fenêtre pour observer à nouveau la foule mouvante.
— Partir par un temps pareil me semble une folie, observa-t-il en regardant l'amoncellement de la neige souillée sur le bas-côté. Et où pourrait-on être plus en sécurité qu'à Tolone ? En mille ans d'existence la cité n'a jamais été prise.
Le valet semblait cependant inquiet.
— Des choses inquiétantes se murmurent, votre Majesté. On dit qu'Athanasios disposerait d'armes capables de percer les murailles les plus épaisses.
Hugues écarquilla les yeux. Il se souvenait qu'Absalom avait mis en garde la cour à ce sujet. Aurait-il eu raison ?
Le prince fut interrompu dans sa contemplation par un toussotement discret.
Un page s'était présenté à la porte de la chambre.
— Votre Majesté, dit-il en s'inclinant. Le roi notre sire réclame votre présence dans la salle du Conseil.
— Maintenant ?
Hugues était surpris. Le Conseil ne se réunissait habituellement que le mardi.
— Son altesse royale a été très pressante, précisa le page.
Le prince écarta le bras pour que son valet lui enfile son chaud pourpoint d'hiver.
En tant que fils héritier du trône, Hugues était membre de plein droit du Conseil du roi. Il n'ouvrait généralement pas une seule fois la bouche lors des séances. La plupart des courtisans le pensaient bête ou indifférent à tous. En réalité, le prince était surtout doté d'une gaucherie et d'une timidité maladives. La nature ne l'avait pas favorisé. Il était déjà grassouillet pour son jeune âge et faisait preuve d'une maladresse consternante dans toutes les activités de chevalerie auxquelles s'adonnaient ses compagnons.
Tous les conseillers étaient déjà installés autour de la table lorsque Hugues pénétra dans la salle du Conseil. Il s'assit timidement à côté du chancelier qui ne lui adressa pas un regard. Personne ne tenait réellement compte de sa présence. Le prince avait parfois l'impression d'être invisible.
— Où est donc Absolom lorsqu'on a besoin de lui ? se désespérait le roi lorsque que Hugues fut prêt. La peste soit ce mage ! Il maîtrise à la perfection l'art d'être introuvable. Et vous, que faites-vous de vos journées ?
Il se tourna vers le haut mage du royaume. Ce dernier rougit violemment, piqué au vif.
— Sire, je suis chargé de nombreuses recherche d'une importance...
— Au diable vos recherches ! Ne vous consacrez plus qu'à une seule tâche : trouver un moyen d'arrêter Athanasios. N'y aurait-il donc aucun moyen de contrer ses armes maléfiques ?
Le haut mage prit un air digne.
— Le Collège des mages est en train d'élaborer en ce moment même une protection magique à déployer autour de la cité.
— Ils font bien de se rendre enfin utiles ! Quand cette protection sera-t-elle disponible ?
— Elle sera terminée avant l'arrivée d'Athanasios, assura le vieil homme. Nous ignorons cependant la résistance qu'elle opposera aux armes nouvelles. Ni au pouvoir du mage noir Athanasios.
Le roi fronça les sourcils.
— Absalom n'avait-il pas affirmé avoir entravé les pouvoirs d'Athanasios ?
— C'est exact, sire. Cela a cependant pu être levé si Absalom n'est plus de ce monde.
L'assistance sursauta.
— Allons donc, protesta le roi. Comment Absalom aurait-il pu perdre la vie ?
— Des rumeurs circulent... Athanasios l'aurait vaincu.
— Sornette ! Absalom n'est pas homme à se laisser abattre aussi facilement.
Hugues voyait cependant des regards inquiets s'échanger. Le chancelier à côté de lui chuchota quelque chose à l'oreille du connétable Gauvin.
Tous comptaient sur Absalom pour leur venir en aide.
Hugues gardait résolument la bouche fermée. Il était le dépositaire d'un secret que lui avait confié Absalom plusieurs mois auparavant. Ce secret ne devait être utilisé qu'en dernier recours, si Athanasios franchissait les portes du palais royal.
Le prince était aussi surpris qu'honoré qu'Absalom lui ait confié à lui une telle responsabilité. Il n'était pas certain de s'en sentir digne. Le secret devenait d'autant plus important si le mage blanc était mort.
Le souverain se tourna brusquement vers Hugues. Il fit un signe de la main et un serviteur vint déposer sur la table une longue caisse devant le prince.
Hugues adressa un regard surpris à son père. À son grand embarras, tous les conseillers avaient à présent les yeux fixés sur lui. Le roi fronça les sourcils.
— Ouvre-la donc, s'agaça-t-il.
Le prince s'empourpra et obéit maladroitement. Il y trouva une lourde couronne en or massif, un sceptre, une épée sertie de pierres précieuses et une main de justice.
— Les regalia ? s'étonna-t-il sans oser les toucher. Pourquoi me les confier ?
Il avait sous les yeux les objets les plus sacrés symbolisant la monarchie. Ils étaient transmis à chaque nouveau souverain à l'occasion de son couronnement. Hugues devaient les recevoir à son tour à la mort de son père.
Le roi le regarda avec sévérité.
— Je te confie les regalia. Si la situation devient désespérée, tu fuiras la capitale en les emportant avec toi.
— Moi ? répéta Hugues, stupéfait.
— Qui d'autre pourrait s'en charger ? Tu es mon fils unique et mon successeur. La loi ne permet pas à tes petites sœurs d'hériter un jour de la couronne.
— Mais père, pourquoi ne fuyeriez-vous pas également avec moi ? Vous êtes notre souverain. Votre survie est d'autant plus importante.
Le roi se redressa avec orgueil.
— C'est justement parce que je suis le roi que je me dois de rester pour mes sujets. Mais toi tu représentes l'avenir de notre lignée. Si un malheur m'arrivait, tu deviendrais le nouveau roi.
Hugues se tordit nerveusement les mains. Il savait bien qu'il monterait un jour sur le trône. Mais il espérait que son couronnement aurait lieu le plus tard possible. Il ne se sentait absolument pas capable de prendre les rênes du pouvoir.
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Daemoniaci. La geste d'Arthur Montnoir, livre 2
FantasyArthur est désormais à nouveau en possession de ses souvenirs. Hanté par son passé, il poursuit ses projets. Attention, ceci est un tome 2. La lecture préalable du tome 1 est indispensable.