Chapitre 1

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- Ça fera 3 500 wons, s'il vous plaît. Articulé-je en tendant la bouteille de Soju à mon, je l'espère, dernier client de la nuit.

- Vous ne pouvez pas me faire une petite réduction, les temps sont durs, vous savez ?

Je lève les yeux vers l'homme. Il a bien une quarantaine d'années, une barbe de trois jours, mal-rasée, habille ses joues et ses yeux rougis indiquent que lui non plus, n'a pas fermé l'œil. Il a l'âge d'être mon père et intérieurement, j'espère que le pauvre homme qui porte ce nom à mes yeux n'achète pas de l'alcool à 4 heures du matin.

- Je sais, je ne travaillerais pas là sinon. Réponds-je en plantant mon regard dans le siens.

Il soupire, comprenant que je ne flancherais pas et sort quelques billets froissés de sa poche. Je croise mes bras contre ma poitrine et m'impatiente, voyant l'aiguille tourner dans l'horloge face à moi. Dans dix minutes, je suis dans mon lit et mes nerfs ont définitivement besoin de repos.

La clochette de la supérette résonne dans la boutique quand l'homme récupère son sac, son argent au fond de ma caisse. Il me salue et je lui offre un sourire crispé quand une autre personne vient se dresser devant moi.

- Tu peux rentrer chez toi. Lance ma patronne en me tendant une enveloppe contenant ma maigre paye pour cette nuit.

J'abandonne mon gilet sur la chaise tuant mon dos depuis que j'ai quitté les cours, hier après-midi et me précipite à l'extérieur, comme si l'air était devenu irrespirable entre ces quatre murs. Dehors, c'est la nuit noir qui m'accueille et je remplis mes poumons de l'air pur de la ville, tout du moins, du peu que l'on peut considérer l'air de la banlieue de Séoul pur.

J'avance la tête baissée, traversant un dédale de ruelles sombres dans lesquelles toute la déchéance humaine est palpable. Deux hommes m'ont abordé pour me demander des "services", un autre dormait entre deux bennes à ordure, un tas de bouteilles vides à ses pieds pendant qu'un couple s'envoyait en l'air dans une voiture garée face à mon immeuble. Et le pire là dedans, c'est qu'il y a un petit kilomètre entre chez moi et mon lieu de travail. 

Tout ça, ça me répugne. Voir comment les gens s'auto-détruisent, tous. C'est comme ça qu'est fait le monde. On naît, on vit, on ment et on sombre. C'est la seule réalité qui existe et j'ai appris à l'accepter.

J'ouvre la porte de mon immeuble et m'arrête à la seule boîte aux lettres n'indiquant qu'un seul nom : Kwang Naesil et une fois de plus je réprime une envie soudaine de vomir.

Certaines personnes croient au destin pour expliquer les bonnes choses qui leur arrivent dans la vie, moi si j'y crois, c'est pour tout le contraire. Je lui remets tout sur le dos à mon destin et ça depuis ma naissance, depuis que mon père a eu la brillante idée de me donner ce prénom.

Quand j'entre enfin dans mon petit appartement sous les toits, sa voix résonne encore dans mon crâne.

- Naesil, tu sais ce que ça veut dire Naesil ? Ça veut dire l'arrivée de la vérité, la venue de la sincérité dans nos vies et l'acceptation de la réalité. Et tu sais pourquoi j'ai choisi ce prénom ? Parce que grâce à toi, le monde entier avouera que je suis un génie, ils accepteront tous cette vérité qui les gênes tant.

Et pourtant, c'est à cause de cette si magique vérité que personne ne m'attend à la maison ce soir. Que la seule âme qui vive se contente de transpirer à travers l'unique cadre photo présent dans mon foyer.

Je dépose mon courrier juste devant ce dernier, n'offrant aucun regard aux quatre visages souriants. La réalité s'est emparée de ce cliché et l'a fractionnée en quatre à coup de vérité qui font mal et depuis ce jour, je vis seule dans un douze mètres carré sous les combles, à trente minutes de mon lycée.

Je me débarrasse de mon manteau sur ma chaise de bureau-table-plan de travail et vient ranger l'enveloppe de ce soir auprès des autres, dans ma taie d'oreiller. Je fais craquer une à une mes articulations usées tandis que mon radio-réveil me nargue depuis sa place. J'enfile rapidement un pyjama et viens me glisser sous mes draps sans le moindre préambule, mon luminaire remplacé par ma fidèle veilleuse étoilée bien que celle-ci ne serve pas à grand chose puisque le ciel s'éclaircit déjà timidement derrière mes fenêtres, la nuit noire a déjà disparu.

Malgré ma fatigue bien présente, le sommeil refuse de me prendre. Il faut dire que je le fuis depuis bien longtemps et que tout est prétexte à ne pas l'affronter et cette nuit, c'est l'activité assez forte dans mon groupe chat lié à ma classe qui en est un.

Je déverrouille mon téléphone et remarque les centaines de messages en absence qui ont cessé d'arriver il y a quelques heures déjà. J'ai de la chance cette année, les gens sont gentils et une réelle entraide existe au sein de notre groupe. Enfin, au sein de leur groupe. Je reste volontairement à part. Je ne veux pas m'imposer, ni moi, ni ma poisse destinée. Alors la nuit, quand tous mes camarades dorment, je relis la conversation ratée. Je souris face aux quelques blagues et angoisses en même temps que mes compagnons pour les examens à venir. Le dernier message de ce soir est un "bonne nuit" général, comme bien souvent. Je m'apprête à mettre mon téléphone en veille quand mon doigt dérape sur la barre de texte. Je quitte précipitamment l'application, me répétant qu'à cette heure, tout le monde dort et que personne n'a pu voir ces trois petits points clignotants durant à peine une demie-seconde.

Je repose mon portable à côté de mon matelas et lui tourne le dos. Au même moment, j'entends le réveil de ma voisine du dessous sonner à 5 heures et mon téléphone vibrer pour annoncer l'arrivé d'une notification. Je les ignore tous les deux et ferme les yeux, essayant tant bien que mal d'attraper le marchant de sable dans sa course pour pouvoir affronter demain et les jours d'après, avec un minimum d'énergie. 

Malheureusement, comme bien souvent, je n'y parvient pas sans l'aide d'un petit quelque chose, enfermé dans une boîte métallique, à quelques pas de mon matelas.


Fate (Stray Kids FF)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant