Chapitre 9 partie 2

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- Il s'est passé quoi ?

La voix de Jisung me paraît lointaine, comme sortie tout droit d'un songe et seulement là, je réalise, je réalise que pour la première fois depuis des années, je vais mettre des mots sur la déchéance de mon père et sur ma fuite. Pour la première fois, quelqu'un est prêt à m'écouter, malgré les risques.

La question est, dois-je vraiment lui faire courir ces risques bêtement ? Juste pour soulager un peu mon cœur ?

* * *

- Tout s'est effondré. Tout son monde, en un clin d'œil. Il a fait faillite, j'étais trop jeune et je n'ai jamais vraiment su pourquoi. Mais du jour au lendemain, il a arrêté d'aller à son bureau, mon professeur particulier n'est plus venu à la maison et je n'ai plus eu à remettre mes robes bouffantes ridicules. Il m'a dit de faire mes cartons, on quittait notre maison.
On a emménagé en banlieue, pour la première fois de vie je n'habitais plus dans un lotissement aisé, je me suis accommodée à ma petite chambre et heureusement, parce que je ne l'ai pas beaucoup quitté pendant un an. Mon père ne quittait pas l'appartement non plus, il sortait seulement quelques soirs par semaines et quand il revenait, il s'asseyait dans son fauteuil, un paquet de bonbons dans une main et une bière dans l'autre, ses yeux ont été fusillé par l'écran de la télévision.
Je n'ai vu personne pendant un an, juste mon père et le démon sur son épaule qui ne cessait de grossir à mesure de ses balades nocturnes.
Et un jour, j'ai attendu qu'il dorme pour l'approcher, pour voir comment il allait mal. Il ne ressemblait plus à mon père. Il était maigre, sale et usé par sa vie. Et puis j'ai regardé le paquet de bonbons, j'ai fourré ma main à l'intérieur et j'en ai sorti une poignée. Ce n'était pas des bonbons.

Je me retiens pour ne pas guider Jisung directement à la fin de l'histoire. Il y a des choses qu'il ne doit pas savoir, comme le fait que je n'ai pas relâché les pilules, que je les ai rapporté dans ma chambre et que j'ai sombré moi aussi.

- J'avais à peine quatorze ans et j'ai compris que mon père fuyait sa vie misérable grâce à la drogue. J'ai fait tombé le paquet de bonbons et ils se sont éparpillés, par millier, sur le sol poisseux. J'ai pris peur. Je savais qu'on n'avait pas beaucoup d'argent et que ce genre de chose coûtait cher. J'ai fui, je me suis réfugiée dans ma chambre et j'ai fermé la porte à double tour, attendant péniblement qu'il se réveille et qu'il explose. J'avais l'habitude.
Ça n'a pas manqué, j'étais accroupie contre ma porte quand son hurlement a déchiré le silence. Je me souviens du bruit de ses pas et surtout de celui de ses poings contre le bois.
Comme il l'avait déjà fait, il a passé sa nuit à crier contre la porte close. Il recrachait toute sa hargne, tous ses ressentiments pour moi, sa fille. Il lui a fallu quatorze ans pour comprendre que tous les mauvais événements de sa vie était lié à mon existence, mais une fois qu'il a assimilé cette information, il n'a pas cessé de me le répéter, dès qu'il me voyait et quand il ne me voyait pas, il venait hurler contre la porte de ma chambre.

Cette nuit-là, j'ai pris pour la première fois l'un de ces bonbons. Je ne voulais plus l'entendre, je voulais dormir. Alors j'ai fait comme mon père, j'ai pris exemple sur lui comme le ferraient tous les enfants normaux. Je ne l'ai pas entendu hurler le temps d'une nuit et je me suis senti plus légère, le lendemain, en ouvrant les yeux. Alors j'ai recommencé à chaque fois qu'il venait passer ses nerfs, et je ne l'ai plus entendu. Mais ça, Jisung n'a pas à le savoir, il ne doit pas savoir à quel point j'ai été affecté, il doit se contenter de ce récit où je dépeint une fille forte capable de rester debout face à sa vie alors que dans le fond, j'ai attends les mêmes ténèbres que mon père.

- Tu voulais savoir pourquoi je déménage beaucoup ? Pourquoi à dix-huit, j'ai un travail à plein temps en parallèle de mes études ? C'est simple. Quand j'ai eu quinze ans, mon père m'a accusé de le voler, de lui prendre ses pilules, il perdait simplement la carte à cause de tout ce qu'il ingurgitait. Je lui ai soutenu que non, que je ne touchais pas à ça, que je ne voulais pas finir comme lui.  Il s'est remis à hurler et pour la première fois de ma vie, il m'a giflé.

Je me souviens de ce jour comme si c'était hier, pendant que je lui tenais tête, que j'affirmais vouloir une meilleure vie que la sienne, la même drogue coulait dans nos veines. Il a levé la main plusieurs fois sur moi et malgré son corps cadavérique, il avait toujours une force surhumaine.

- J'ai perdu connaissance. Reprenné-je en omettant volontairement certains détails. Quand je suis revenu à moi, il n'était pas dans l'appartement. J'ai alors pris la plus grande décision de toute ma vie, je suis partie. Je suis resté quelques jours dans la rue avant de trouver mon premier job, dans une maison de retraite, j'étais de garde toutes les nuits pour m'occuper des patients. En même temps, j'ai décidé de reprendre mes études. Je voulais essayer d'avoir une vie normale. Je suis resté sept mois à Incheon, jusqu'à ce qu'il me retrouve.
Il voulait que je rentre à la maison, que s'il était dans cet état, c'était de ma faute et que je devais m'occuper de lui, lui rendre l'appareil en quelques sortes.
J'ai quitté mon emploi et je suis partie dans une autre ville, nouvelle école, nouveau logement, nouveau boulot et ça fait trois ans que ma vie se déroule comme ça. Je m'installe, prends mes marques et il reparaît, sortie de nul part. Alors je refais mes valises et je fuis dans la nuit, le plus loin possible de lui.

Pour signer la fin de mon récit, je me contente de fourrer mes mains dans mes poches. Je viens, en seulement quelques instants, de raconter toute mon existence à un presque inconnu. Et bien contre moi, Jisung est toujours là, dressé devant moi, il n'a pas pris peur, il n'est pas parti. J'aurais voulu qu'il parte. Ça aurait été si simple.

- Tu peux partir, je comprendrais. Soupiré-je, dans l'espoir qu'avec un peu d'aide, il prenne la porte sans discuter.

Bien contre moi, il se passe tout le contraire. Au lieu de prendre ses distances avec moi en fuyant cet appartement maudit, il fait un pas, puis deux. Et alors que j'ouvre la bouche pour lui proposer une fois de plus la porte, il se passe quelque chose qui n'aurait jamais dû se produire. Il me prend dans ses bras.
Ma tête tombe lourdement sur son épaule alors que ses bras m'encerclent, sa respiration est calme et c'est seulement en entendant les battements réguliers de son cœur que je me rends compte de l'affolement du mien.

- Retire-toi une chose la tête pour moi Naesil. Souffle-t-il presque imperceptiblement. Je ne serais jamais blessé parce que je suis à tes côtés, même si ton père pense que tu es le mouton noir de sa vie, tu es tout sauf ça pour moi.

Je ferme les yeux et serre les poings, j'aimerais tant pouvoir te croire Jisung. 

Fate (Stray Kids FF)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant