Chapitre 26

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Je ne suis pas monté dans une voiture depuis des années. J'étais devenu spécialiste des transports en commun pour quitter les villes dans lesquelles je menais ma vie avant que mon père ne me retrouve. Et la marche à pied était toujours plus économique que du covoiturage. Même monter à l'avant d'un véhicule ne devait mettre arriver qu'une dizaine de fois, on montait toujours à l'arrière quand on avait notre chauffeur.

- Tu n'as pas eu peur de reconduire après ton accident ? Demandé-je au conducteur sans quitter la route des yeux, ma main solidement accrochée à la poignée au-dessus de la portière.

Mon regard s'attarde sur chaque parcelle de route où le soleil cogne, donnant des reflets rougeâtre au béton, si je ne cligne pas des yeux régulièrement, je pourrai presque revoir le drap blanc et ce qui se cache en dessous.

- La peur n'apporte rien de foncièrement bon dans la vie. Même si je ne me suis pas assis derrière ce volant le lendemain de l'accrochage, je n'ai pas laissé mes émotions me priver de ça. Et on n'est pas beaucoup à avoir le permis dans la bande, c'est essentiel pour nous de pouvoir nous déplacer, ne pas rester là où nos craintes nous on laisser tomber.

Je déglutis en voyant son sourire dans le coin de ma pupille. Se relever à l'air tellement simple quand il est là pour me tendre la main. À croire que je suis totalement dépendante à son soutien, s'il s'en va, je m'écroule.

- Mais ne penses pas que je suis un sur-homme Naesil, on a tous nos failles, et j'en cache pas mal sous mes sourires. En ce moment, ce qui m'aide a les surmonter, c'est te voir affronter les tiennes. Je vais finir par me demander qui des deux aides le plus l'autre.

Je décroche mon regard de la route pour l'observer. Pour voir son sourire crispé, ses phalanges blanchit autour du volant et sa cuisse tressautant à chaque seconde. Je prends une grande aspiration et lâche la poignée au-dessus de ma tête avant d'aller poser ma main sur sa cuisse, pour essayer de calmer son stresse tout aussi palpable que le mien.

Le reste de la route se passe dans un silence presque religieux, seulement trahit par le grésillement de la radio. Quand nous trouvons une place pour nous garer, les gens retournent tous au travail. Je fais louper les cours de Jisung dans l'histoire, ses cours mais aussi ses premiers entraînement en tant que trainee. Quelle excuse a pondu Chan pour expliquer l'absence de l'un de ses membres alors qu'ils débutent à peine ?

- On y va ? Demande-t-il encore une fois en retirant sa ceinture. Il veut être sûr que je le veuille, que je ne le fais pas sur un coup de tête.

- Tu ne me quittes pas ? Je veux dire, tu resteras avec moi tout le temps ? Bafouillé-je en déverrouillant ma portière.

- Promis. Sourit-il une fois de plus.

Je mets un pied hors de la voiture et fait seulement quelques pas avant que la main de Jisung ne vienne se loger contre la mienne, il ne me laissera pas tomber. Nous entrons dans le commissariat où une étrange atmosphère règne. Des hommes et des femmes en uniformes arpentent le lieu sans réellement faire attention à nous. Des téléphones sonnent, des voix résonnent et les clims tournant à plein régime n'aident pas a calmer cette cacophonie ambiante. Jisung me tire en avant, m'obligeant à quitter les détecteurs d'ouvertures de la porte, empêchant enfin a chaleur lourde de l'extérieur de rentrer dans ce lieu tout aussi pesant. Sans m'en rendre vraiment compte, nous nous retrouvons face au bureau d'accueil. Un homme prend le temps d'essuyer la sueur sous son képi avant de s'adresser à nous. 

- Puis-je vous aider jeunes gens ?

J'entrouvre ma bouche et perds instantanément l'usage de la parole. Les yeux sombres de l'homme de l'autre côté du bureau me scrutent et Jisung exerce de petites pressions contre ma paume. Il ne parlera pas pour moi. C'est à moi de le dire si je ne veux pas avoir de regret.

- Je pense savoir qui est l'homme qui a été renversé par une voiture devant le lycée hier matin.

Ma voix tremblant dans le commissariat devenue étrangement silencieux. L'homme en face de nous se relève alors qu'une rumeur commence à nous englober. Quelques agents semblent reconnaître la "fille effondrée" d'hier matin, celle qui a fixé le cadavre de l'autre côté du cordon jaune.

- Je vais vous emmener voir le corps dans ce cas. Suivez moi.

Le pouce de Jisung se remet à faire des cercles contre ma peau alors que nous nous mettons en marche. Nous traversons plusieurs couloirs sordides avant de descendre des escaliers en fer. Nous arrivons dans un semblant de cave où une ampoule mal visée pend au bout d'un fil électrique, face à nous, neuf grands tiroirs.

J'avale ma salive de travers, brûlant complètement l'intérieur de ma gorge déjà sèche. Je reste planté à cinq mètres des caissons quand le policier sort son trousseau de clefs, il en enfonce une dans le troisième tiroir et l'ouvre d'un coup sec. Un monticule blanc en ressort. On devinerait à peine qu'il s'agit d'un corps. Jisung m'invite silencieusement à avancer ce que je fais, sentant mes jambes se ramollir à chacun de mes pas.

Quand j'arrive à la hauteur de l'agent, il attrape le drap entre ses doigts avant de le tirer, découvrant le visage endormi de mon père.

Je n'essaye pas de retenir mes sanglots qui tentent par tous les moyens de quitter mon corps. Je fixe son teint blanc, ses yeux clos et ses cheveux sales une longue minute avant d'aller me réfugier contre le torse de Jisung. Ce dernier lâche ma main pour venir agripper mes épaules. Au revoir papa, je suis désolé.

- C'est son père. Articule Jisung alors que j'essaye de calmer le flot de mes larmes, sans succès.

- Je vais devoir poser quelques questions à la demoiselle dans ce cas.

Quand mes larmes ont enfin cessé, nous étions dans un petit bureau mal ventilé. Jisung assit à ma droite et mon dos collant au dossierde la chaise en plastique. L'agent a retiré sa casquette pour commencer à taper quelque chose sur l'ordinateur nous séparant. Le tiroir est refermé en bas. Mon père va pouvoir avoir une urne à son nom.

- Quel est le nom de votre père, et le vôtre d'ailleurs. Commence-t-il enfin.

- Je m'appelle Kwang NaeSil, mon père s'appelait Kwang HoJin, aux yeux de la loi, c'est mon père adoptif, celui qui m'a reconnu le jour de ma naissance. Énuméré-je d'une voix éteinte.

Je ne veux pas répondre à toutes ces questions, parce que je sais que ça ira plus loin. Parce que je suis mineur et livré à moi-même depuis très, très longtemps.

- Où vivez-vous actuellement ?

- Dans notre colocation. Intervient Jisung.

Je me mets à fixer la plante en plastique dans le coin de la pièce alors que Jisung annonce son adresse au policier. Il faut que je prépare des mensonges, surtout quand il va me demander où se trouve ma mère.

- Et qui est votre responsable légale mademoiselle ? Vous n'étiez tout de même pas sous la responsabilité de votre père ?

Il sait, il sait que mon père vivait dans la rue, ça lui collait à la peau. Il sentait la rue et moi pas du tout, je suis trop propre sur moi pour avoir vécu avec cet homme pour la police.

- Sa mère, c'est elle sa responsable légale, elle vit à Incheon et nous verse une partie du loyer chaque mois. Je peux vous donner son numéro de téléphone si vous le voulez. Continue de mentir Jisung à ma place.

Incapable d'intervenir, je le laisse s'embourber dans ses dires. Jisung répond aux dernières questions à ma place et m'aide à me relever quand le dossier est enfin bouclé. L'homme nous salue, promettant de nous contacter la veille des obsèques si nous lui laissons un numéro de téléphone où me joindre.

Cette fois-ci, j'ouvre la bouche pour lui répondre, je lui lance une suite de numéros hasardeuse. Jisung a menti à trop de questions pour que je leur laisse une chance de me retrouver. Et en ce qui concerne l'adresse des garçons, je ne logerais bientôt plus là.

Je vais partir, j'ai dit au revoir à papa, je n'ai plus rien de bon à faire ici, je ne veux pas être un fardeau. 

Fate (Stray Kids FF)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant