Carmen
Angoissée, je ne lâchai pas la main de Léandre. Nous quittâmes l'appartement, doucement. Léandre me pressa la main pour me rassurer. Ça marchait, en partie.
Nous sortîmes de l'immeuble, moderne de haut en bas, par de grandes portes vitrées. Un vent glacial frappa mon visage, porteur de la terreur de Moscou : la neige. Mon visage s'illumina, et ma peur fut balayée par le vent, remplacée par une joie toute puérile qui me réchauffait la poitrine.
Léandre s'arrêta lorsqu'il constata que je n'avançais plus. Il se retourna, interloqué, et nous regarda, moi et mon énorme sourire ; la neige tombait en grappes drues sous mes yeux émerveillés. J'éclatai de rire en tirant la langue, me rappelant tous nos jeux d'hiver avec Cole quand nous étions petits, les bonhommes, les batailles, la luge... Un sourire en coin détendit le visage du Russe alors que je tendais les doigts pour voir s'y déposer des cristaux d'un blanc immaculé.
Ça faisait tellement longtemps ! La neige, le soleil, la pluie, j'avais presque oublié la sensation qu'ils procuraient, le bonheur d'un rayon éclatant, la mélodie de la pluie sur la fenêtre, la douceur réconfortante d'une étendue de neige. Mes mains étaient gelées mais je n'y prêtais pas la moindre attention. Avec une euphorie qui ne se justifiait que par mes récentes expériences, j'observais l'eau blanche s'accumuler au fond de mes paumes.
Léandre m'attrapa par la taille, me ramenant à la réalité. Il m'attira contre son torse et je lâchai la neige sans quitter des yeux le gracieux ballet des flocons en chute. Le souffle chaud de Léandre me titilla l'oreille lorsqu'il me susurra suavement :
- J'adore te voir comme ça.
Il conclut ses paroles par un léger baiser sous mon oreille puis recula prudemment. Le trottoir était très glissant et je m'y aventurai précautionneusement. Ses paroles trottaient dans ma tête, tournant et se retournant en tous sens. Je fis volte-face et souris à Léandre, qui me reprit la main. Je me mordis la lèvre inférieure alors qu'il se plaçait face à moi, une étincelle dans le regard. Son visage d'ordinaire impénétrable ou sérieux, était devenu bien plus doux. Ses yeux de glace s'étaient aujourd'hui faits aussi doux qu'un ruisseau.
Était-il simplement heureux ?
Il se racla la gorge et m'attira près de lui. Nos doigts étaient étroitement noués et nous fîmes quelques pas ensemble.
- Nous allons devoir partir à pied. Ma voiture ne va pas survivre à ce déluge. Me prévint-il gentiment.
Je murmurai un faible accord. Mon esprit était à des kilomètres de Moscou, il jouait gaiement dans une plaine blanche perdue à l'autre bout du monde.
Léandre
Carmen se prépara, crispée, prête à bondir, tous les sens à l'affût du moindre danger... Le couple nous dépassa calmement, sans lui prêter d'attention. Carmen resta tendue sur plusieurs mètres avant de se calmer très légèrement. Je lui murmurai des paroles rassurantes à l'oreille, tout en pressant un peu plus ma main contre la sienne pour lui faire comprendre qu'elle ne risquait rien avec moi.
Nous atteignîmes enfin le restaurant de Viodoutch, mon cousin, où nous passerons la soirée. L'établissement était tout à fait correct et Carmen y serait vite à l'aise en apprenant que le patron était de ma famille. Alors qu'elle tendait la main pour attraper la poignée de la porte, celle-ci s'ouvre depuis l'autre côté et Carmen sauta en arrière. Elle glissa sur une plaque de verglas et bascula en arrière. Je la rattrapai in extremis, aidé par le client qui venait de sortir.
Celui-ci se mit à rire, d'un gros rire gras, en la remettant debout. Loin de trouver la situation aussi amusante, je serrai les dents et lui jetai un regard noir en m'interposant entre lui et Carmen.
- Vous pourriez vous excuser. Ça n'a rien de drôle, elle aura pu se blesser sévèrement.
Le blondinet cessa de rire et braqua son regard vert dans le mien. Devant la tension qui émanait de moi et mon regard d'acier, il afficha un sourire amusé qui ne m'irrita que plus.
- C'est bon, il y a eu plus de peur que de mal. Rétorqua-t-il avec indifférence.
- Je vous ai demandé de vous excuser ! Tonnai-je avec fureur.
Il plissa les yeux, redevenant sérieux.
- Calmez-vous, mon gars. Vous risqueriez de regretter votre petite crise de colère. Elle n'a rien, votre femme.
Il venait de louper la parfaite occasion de se taire. Hors de moi, je m'apprêtai à assener à cet imbécile la châtaigne dont il se rappellerait toute sa vie, lorsque Carmen posa sa main sur mon bras, m'arrêtant juste à temps.
- Ne perds pas ton temps avec cet homme, Léandre, il n'en vaut pas la peine. Oublie-le et rentrons, il a raison : je n'ai rien. S'il te plaît, laisse tomber.
J'expirai calmement. Carmen avait raison, je rentrais dans le jeu de cet idiot. Je relâchai mon bras et tournai les talons, décidé à ne pas gaspiller cette soirée avec un fils à papa pourri gâté. Ce soir, je serais sage.
Juste ce soir.
Je me jurai de retrouver cette homme pour régler mes comptes avec lui. Pour le moment, l'important était de passer une agréable soirée avec Carmen.
Cet imbécile ne l'entendait pas de cette manière.
- C'est ça, écoute ta gonzesse, chéri ! Me provoqua-t-il.
Je m'arrêtai.
Il cherchait la guerre, ce con.
Je lâchai la main de Carmen pour me retourner sèchement vers le blond. D'un regard assassin, je lui fis bien comprendre qu'il venait de franchir la ligne rouge. Je serrai les poings et fis un pas dans sa direction.
Au fur et à mesure que je réduisais la distance entre nous, ce petit morveux perdait de son assurance. Il eut même un mouvement de recul lorsqu'il jugea que j'étais trop proche de lui. Son regard étincelait de peur.
- Je crois que je t'ai mal entendu. Lâchai-je d'une voix glaciale. Je ne suis pas quelqu'un que tu peux provoquer à ta guise. Je serais toi, je m'excuserais immédiatement. Et en étant convaincant, surtout.
L'homme déglutit péniblement et osa faire un pas en avant. Tiens ! Il portait ses couilles, finalement.
- Je suis Vols Pacjkif et je suis un chef très influent à Moscou. Vous non plus, vous ne pouvez pas me parler sur ce...
Je l'attrapai par le col de sa chemise et l'épinglai contre le mur. Carmen poussa un cri perçant que j'ignorai ; je regardai Vols droit dans les yeux en le défiant de terminer sa phrase. Ses yeux écarquillés me convainquirent qu'il ne le ferait pas.
- Et moi je suis Léandre Castavovitch et ce n'est certainement pas un fils à papa bourré de fric et fraîchement sevré qui va me donner une leçon. Revois ta liste des gens que tu peux agresser avant de t'en prendre à n'importe qui. Maintenant, dégage avant que je te colle une balle entre les deux yeux.
- Vous n'oserez pas ! S'écria-t-il courageusement - ou bien peu intelligemment.
Je sortis immédiatement l'arme dissimulée dans mon dos et la plaquai contre sa tempe.
- Tu veux jouer à ça ?
Le visage du blond était blanc comme la neige. Terrifié, il bégaya :
- Je... Je suis désolé... Je ne voulais pas... C'est un malentendu...
Je rangeai le pistolet et donnai une châtaigne à cet impertinent.
- Remercie ma femme d'être présente ce soir. Tu seras mort dès l'instant où tu m'as provoqué si elle n'avait pas été là. Je n'en ai pas fini avec toi, merdeux. Souviens-toi bien de mon nom quand je viendrai t'apprendre la politesse.
Je me dirigeai vers Carmen après un dernier regard méprisant à Vols, lui pris la main et embrassai son front. Ses yeux écarquillés restèrent fixés sur Vols. Je la forçai doucement à se détourner et la fis entrer dans le restaurant, bien décidé à lui faire oublier cet incident.
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𝕊𝕒𝕦𝕧é𝕖 𝕡𝕒𝕣 𝕦𝕟 𝕚𝕟𝕔𝕠𝕟𝕟𝕦 ⁽ᴿᵘˢˢⁱᵃⁿ ˢᵃᵍᵃ ²/ᵀᵉʳᵐⁱⁿé⁾
RomancePendant trois longues années, elle fût torturée par Richard Pendez. La russe se devait de supporter les coups et viols de celui-ci. Elle subissait alors, se terrant dans le silence, lutter ne lui servait à rien contre ce monstre. Le temps passait et...