Chapitre 2.

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Alix n'attendait jamais autant la sonnerie de fin des cours qu'un vendredi soir de match au Parc des Princes. C'était devenu un rituel, quand cela tombait le premier soir du week-end. Son père venait la chercher au lycée et ils passaient la soirée ensemble. Cela n'arrivait qu'une petite poignée de fois dans l'année, mais jusqu'à présent, Mathieu s'était toujours rendu disponible.

Autrefois Nina venait avec eux, désormais elle prétendait toujours avoir plus intéressant à faire. Mais Alix savait que cela lui manquait, qu'elle ne voulait simplement pas se confronter aux souvenirs qui l'assailliraient quand elle verrait son père s'enflammer au premier tir cadré. La veille encore la cadette, avait essayé de convaincre son aînée de faire un effort, sans succès.

Alix, dans un souci de se trouver des points communs avec Mathieu, avait appris au fil des années à suivre assidûment les championnats et les coupes, pour partager avec lui ces moments qu'il affectionnait tant. Et malgré sa personnalité très artiste, la jeune fille pouvait affirmer sans mentir qu'elle aimait ce sport et l'ambiance brûlante du stade. D'ailleurs, avec les années sa mère s'était aussi prise d'intérêt pour la chose et il n'était pas rare qu'elle vienne avec eux ou qu'elle suive en même temps le match à la télévision.

Finalement les évènements footballistiques avaient toujours rassemblé la famille et Alix déplorait le fait que Nina se coupe aussi de cela. Sa grande sœur lui échappait doucement et cette simple pensée la plongeait dans une profonde angoisse.

Ousmane n'avait cessé de lui fatiguer le cerveau toute la journée, un vrai moulin à paroles, même si l'adolescente ne lui répondait pour ainsi dire jamais, il ne pouvait s'empêcher de partager toutes ses pensées à sa voisine de classe.

- T'es vraiment pas fun, Pruski, lui répétait-il.

En revanche elle adorait le fait qu'il l'appelle tout le temps par son nom de famille. C'était vraiment la seule qualité de ce garçon.

Le pire dans tout cela, c'était qu'Inaya et ses copines avaient décidé de s'intéresser à Alix, comme si celles-ci s'étaient soudainement mises à penser que la jeune fille souffrait du fait que personne ne lui tienne jamais compagnie. Elles voulaient "la prendre sous leur aile", alors qu'elle n'avait jamais rien demandé et n'avait de problème avec personne au lycée, donc aucun besoin d'être sous "l'aile" de filles populaires.

Et puisqu'Ousmane avait jeté son dévolu sur Inaya, il avait décrété qu'Alix était le parfait pigeon voyageur, pour transmettre ses petits messages à l'élue de son cœur. Chose qu'elle avait évidemment refusé de faire.

- Tu penses que ma pe-cou va lui plaire ?

Elle jeta un regard en biais au dégradé tout frais et aux mini dreadlocks sur le sommet du crâne du garçon à lunettes. Puis haussa les épaules.

Ousmane avait du style, comme tout le monde chez les Wann. Alix était certaine qu'il passait au moins quarante-cinq minutes à choisir ses vêtements pour s'habiller avec soin. Il suffisait de le voir parcourir son fil Instagram sous la table : que des photos de mode et d'influenceurs axés sur le sujet. D'ailleurs l'un de ses grands sujets de conversation consistait à faire l'inventaire avec avantages et inconvénients de toutes ses paires de chaussures.

Au fond la jeune fille aurait pu discuter avec lui de vêtements, elle qui passait un temps fou à créer ses propres habits et qui possédait également ce goût pour les belles pièces, mais comme toujours depuis son entrée à l'école, elle se bloquait. L'idée de commencer à tisser des liens avec une nouvelle personne, surtout un garçon, l'effrayait.

Pourtant grâce à ses séances avec la psychologue, Alix avait fait d'énormes efforts pour supporter la présence d'autrui. Encore quelques années plus tôt elle pouvait faire une crise d'angoisse si quelqu'un lui prenait le bras ou commençait à la questionner trop longtemps.

Temps perduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant