Violette était désormais de retour chez elle, en soin palliatifs à domicile. Toute la famille savait bien que c'était la dernière ligne droite. Tout ce qui comptait maintenant c'était profiter au maximum du temps qui restait.
Pour Léo chaque heure passée avec sa mère était plus précieuse que la précédente, il vivait dans la crainte permanente que chaque mouvement de sa cage thoracique affaiblie par la maladie soit le dernier. Et pourtant, une drôle de paix était tombée sur la famille. Ils s'étaient tous recentrés sur cet appartement qui les avait vus grandir. Alors même que les dernières semaines à l'hôpital avaient plutôt été propices à une dispersion des uns et des autres.
Mais désormais, c'était comme s'ils avaient choisi de s'octroyer des dernières vacances tous ensemble, sans quitter la maison. Parties de cartes, films de famille, longues discussions près d'une Violette qui somnolait paisiblement ou ajoutait des anecdotes aux souvenirs racontés.
Le temps était comme suspendu.
Léo s'était investi de la mission d'administration de la morphine qui devait être injectée par intraveineuse quand sa mère souffrait ou était en détresse respiratoire. Romy avait une sérieuse phobie des aiguilles et Jade tremblait à l'idée même de planter une seringue dans la peau de sa mère. Le petit dernier partageait donc cette tâche avec son père. Des soins quotidiens étaient également dispensés par des aides-soignantes qui les visitaient chaque jour. Léonard savait toute l'humilité qu'il fallait à sa mère pour accepter depuis quelques mois de ne plus pouvoir se laver seule.
Un matin après l'intervention de l'équipe médicale, il lui avoua même à quel point cela lui faisait de la peine pour elle. Et sa mère comme toujours répondit avec philosophie :
- Je pense que la vieillesse et la dépendance qu'elle apporte, préparent à l'humilité de la mort, cette bonne vieille mort qui sera toujours plus forte que notre conquérante humanité.
Marquant une pause pour reprendre son souffle, elle continua doucement :
- Moi j'ai la chance de ne pas mourir vieille et fripée, mais il faut bien que je goûte un peu à ce que vivent les personnes âgées pour compenser l'orgueil immense dont je me gonfle quand je vois à quel point j'ai réussi mes enfants.
Léonard resta interdit, songeant qu'il fallait qu'il trouve lui aussi des moyens de donner un sens à certaines souffrances que la vie mettait sur son chemin.
- Et puis tu sais, joie, peine, honte, tous les sentiments sont bons quand on sait qu'on ne ressentira bientôt plus rien.
- Ne dis pas ça, répondit-il en sentant le nœud coulant qui l'habitait depuis quelque temps se resserrer sur sa gorge, Tu n'en sais rien. Si ça se trouve "après" on ressent encore des trucs.
Violette sourit, serrant doucement la main de son fils dans la sienne.
- Tu crois qu'il y a un après ? demanda-t-elle, Étonnant pour un futur médecin.
Léo haussa les épaules, son père était croyant et l'avait élevé avec l'idée d'une vie après la mort, sa mère avait toujours été plutôt dans un "je ne sais pas mais j'espère". Il se situait pile entre les deux : il espérait qu'il avait raison de croire son père.
C'était sans doute un moyen d'adoucir la perte et de garder espoir malgré la douleur, mais il avait besoin de s'accrocher à l'infime chance qu'un jour peut-être il retrouverait les êtres chers qu'il avait perdu dans sa vie.
Il se demandait même comment sa sœur Romy qui ne croyait en rien d'autre que Darwin et Marx pouvait tenir debout en imaginant que leur mère cesserait juste d'exister, pour toujours.
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Temps perdu
FanfictionAlix est farouche et introvertie. Léonard est drôle, très drôle. Elle n'aime pas trop parler, il veut rire de tout. (Ce tome est la suite de « Des années » mais peut également être lu après « Ce qu'on laisse à nos mômes »)