Chapitre 23

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L'ambiance était survoltée. Le taux d'alcool explosait le baromètre. Ces âmes en folies, inconscientes, se mouvaient au rythme d'une musique endiablée. Les corps se déhanchaient et s'entassaient. La chaleur de la pièce étouffait Axelonnie mais elle était incapable de trouver la moindre sortie. Elle se faufilait parmi ces carcasses animées par l'envie d'oublier leurs quotidiens. Elle les voyait, tous ces inconnus, s'agiter, s'alcooliser et se draguer. De véritables pantins articulés sur le son d'une musique qui ne parvenait pas à ses oreilles. Elle n'entendait rien. Juste le silence. Impossible pour elle de se souvenir la raison de sa venue ici, ni même comment elle était parvenue jusque-là. Dans l'immédiat, ce n'était pas le plus important. Tant de gens et pourtant si seule. Elle essayait d'engager la conversation avec certains fêtards mais ils ne réagissaient pas à sa présence. Se pouvait-il qu'elle soit totalement invisible à leurs yeux? Elle voulait sortir, quitter cet endroit malaisant. Axelonnie se sentait épiée et son coeur, soudainement, s'emballait. Quelque chose rôdait. Par moments, le silence était entrecoupé de grognements. Lorsqu'elle fit volte-face, elle aperçut au loin un mouvement inhabituel. Quelque chose avait rampé sur le sol de manière rapide, là, entre ces multitudes de paires de jambes. Les grognements s'intensifiaient... c'était là, juste derrière elle. Dans sa cage thoracique, son palpitant menaçait d'exploser. La respiration courte, Axelonnie se retourna mais toujours rien. Rien à part cette chose qu'elle ne parvenait pas à identifier. Au mieux, elle avait aperçu une paire de griffes trop longues pour que ça soit rassurant. La blondinette posa instinctivement sa main sur sa poitrine alors que respirer lui devenait fastidieux. Elle avait l'impression d'étouffer d'angoisse. La foule cessa de danser. La foule cessa de rire. La foule, en un seul et même mouvement, se tourna en direction d'Axelonnie. Son corps en frémit d'horreur. Toutes ces personnes ressemblaient à des mannequins constitués de chair et de sang dépourvus de vie. Sa détresse n'en était que plus grande. Elle était seule, vraiment seule.

— Ils arrivent.

Un murmure.

— Ils arrivent.

Les voix s'ajoutaient les unes aux autres. Ce simple murmure prenait de l'ampleur.

— Qui? qu'elle questionna.

— Ils arrivent.

Les voix prenaient de plus en plus de place. Ses oreilles bourdonnaient. Des centaines de voix en une seule... ce n'était plus un simple son qu'elle entendait... c'était dans sa tête. Axelonnie agrippa ses cheveux, elle voulait le silence. Elle le voulait à nouveau mais ça devenait de plus en plus assourdissant. Elle flancha, se retrouvant à genoux sur un sol poisseux. Elle luttait mais n'y parvenait pas.

— Arrêtez, je vous en prie, qu'elle hurla en fermant les yeux.

— Bientôt!

Et plus rien. Le silence, à nouveau. Lorsqu'elle ouvrit les paupières il n'y avait plus personne. La boîte de nuit était totalement désertée et plongée dans l'obscurité. Les bourdonnements se stoppèrent également mais son coeur continuait de pulser à une vitesse vertigineuse. Les grognements reprirent, accompagnés de raclement... comme des griffes qu'on laisse traîner sur le sol et ça se rapprochait. Dans ces pénombres, Axelonnie ne voyait qu'une seule source de lumière, au loin, provenant des toilettes de la boîte. Un souffle chaud heurta sa nuque, une odeur de viande faisandée accompagnant cette exhalation. La chose était derrière elle. Sans perdre un instant, elle se releva et courut en direction des toilettes. Les portes à peine franchit qu'elle glissa sur une surface liquide et tomba lourdement sur les fesses. En cherchant à se redresser, ses mains se posèrent sur une flaque encore chaude et poisseuse. Du sang. Tremblante, elle regardait ses mains ensanglantées et elle cria.

La fatigue avait eu raison de Maxime qui s'était endormi devant son ordinateur. Lorsque l'on connaissait cet acharné de travail, ce n'était en rien surprenant. Sauf que d'habitude il n'était pas réveillé en plein milieu de la nuit à cause d'un hurlement. Déboussolé un instant, il lui fallut une petite poignée de secondes avant de quitter son fauteuil pour courir dans la chambre où Axelonnie dormait. Elle était assise sur le lit, en sueur et surtout en pleurs. Maxime se précipita vers elle pour la prendre dans ses bras afin de la rassurer. Instinctivement, elle se blottit contre lui alors qu'il caressait sa chevelure blonde.

— Je suis là, qu'il murmurait contre son oreille.

— Ne me laisse pas toute seule.

Il la serra davantage contre lui et embrassa le dessus de son crâne.

— Je reste avec toi, je te le promets.

Peut-être qu'elle ne pouvait pas lui accorder sa confiance mais en attendant, il était là. Sa présence rassurait Axelonnie car elle pouvait sentir un corps chaud contre elle, une personne animée d'une conscience, dotée de paroles et qui pouvait la voir. Une personne qui malgré tout, n'hésitait pas à accourir lorsqu'elle se réveillait en larmes. Elle huma l'odeur de Maxime, un mélange boisé agréable et après un certain temps, elle se rendormit.

Source de chaleur et bouillotte personnelle. Elle était plongée dans un véritable cocon de bien être. L'humaine se blottissait contre cette boule d'énergie sans en comprendre la présence. Le confort d'un lit douillet, le réconfort d'une personne à ses côtés. Axelonnie se sentait comme dans une bulle de bonheur. Encore engluée dans les méandres d'un tendre sommeil, son esprit à semi-éveillé ne parvenait pas à analyser la situation dans laquelle elle se trouvait. Persuadée que tout allait bien dans le meilleur des mondes, elle enfouissait son visage au creux d'un cou bouillant et accueillant. Ne plus bouger. Rester ainsi jusqu'à la nuit des temps. Profiter de ce moment. Axelonnie savourait ce sentiment de plénitude qui l'envahissait. Un bonheur que trop irréel, elle n'osait ouvrir les yeux. elle voulait rester dans cet état de semi-conscience. Là où les monstres n'existaient pas. Là où la normalité pouvait enfin reprendre ses droits. Avec tendresse elle passa sa petite main sur un torse ferme et bien dessiné. Il avait une peau douce, et chaude... si chaude. Elle qui d'habitude avait froid, seule au fond de son lit. Toujours les yeux fermés et l'esprit perdu dans la brume, Axelonnie remonta ses lèvres et les promena le long de cette mâchoire masculine. Caresse subtile. Puis doucement, elle l'embrassa. Baiser éphémère. Deux secondes à peine. Un baiser sans importance. Volage. Mais annonciateur de plusieurs échange à venir mais se fut ce moment-là qu'elle choisit pour ouvrir les paupières. Confusion. Incertitude. Incompréhension. Glacée d'effrois, elle se redressa... Son regard consterné observa le visage de Maxime, toujours endormi. Que... quoi? Comment? Pourquoi?!! Elle mit un certain temps à se rappeler la raison de sa présence ici. Elle s'élança sans retenue sur le côté afin de s'éloigner au plus vite de ce corps masculin. Pas de chance pour elle... elle s'était littéralement lancée dans le vide. Le bruit d'une personne qui s'écrasait lamentablement au sol réveilla le sorcier. Il ouvrit d'abord une paupière avant de grogner et de se rendormir comme une souche.

Mal à l'aise par la situation, Axelonnie entama une opération d'exfiltration en quittant la chambre à quatre pattes. Elle priait intérieurement pour que Maxime ne se souvienne pas de ce baiser. C'était un accident, c'était évident mais comment pourrait-elle se justifier si il lui posait la moindre question? Une fois dans le salon, elle se redressa, impressionnée par les lieux. La pièce était deux fois plus grande que l'appartement de J.C. et se terminait par une cuisine ouverte high-tech. Elle s'était vaguement doutée de la richesse de Maxime mais là, ça dépassait ses estimations. Un imposant canapé à angle trônait au centre du salon et Axelonnie s'y traina, après avoir allumé la télé à écran plat. Elle désirait se changer les idées en regardant une émission abrutissante mais au lieu de ça, elle s'arrêta sur une chaîne d'information locale. Elle oublia le pauvre Maxime qui dormait à côté et augmenta le volume, l'estomac en vrac. Une mort était à déplorer dans une boîte de nuit. D'après l'animatrice, il s'agissait d'un meurtre à la barbarie encore inégalée. Aussitôt, elle se souvint de son cauchemar et elle fut saisi d'un haut le coeur.

— Ne vomis surtout pas sur mon parquet, blondie.

Effrayée, elle poussa un petit cri tout en se tournant vers Maxime. A son tour, le sorcier aussi fut surpris et lâcha un petit hurlement franchement pas viril.

— Vous ne pouvez pas vous mettre une clochette autour du cou pour signaler votre présence?

Encore sous le coup de l'émotion, elle posait une main sur son coeur tambourinant avec force contre sa cage thoracique.

— Non. C'est une bien drôle d'idée que vous avez là.

Le sourire qui s'était finalement esquissé sur ses lèvres disparu aussitôt que ses prunelles se posèrent sur l'écran télé. Ses épais sourcils se froncèrent, inquiet.

— Quoi?

— L'homme qui a été tué... c'était un membre du Conseil.

Où que tu sois... je te retrouveraiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant