Chapitre 1

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— Je n'arrive pas à croire que tu m'as fait faire ça.

À cette révélation, un sourire espiègle s'imprima sur le visage méconnaissable d'Axelonnie. En cette nuit d'Halloween, son teint de porcelaine était grisâtre et parsemé de fausse chair arrachée. Pendant des semaines, elle s'était entraînée, mais le résultat était là. Elle avait flanqué la frousse aux petits qu'ils avaient croisés en début de soirée. Elle n'avait d'ailleurs pas lésiné sur l'achat de sa perruque, troquant ses adorables boucles blondes contre un amas de cheveux gris filandreux.

— Et moi, je n'arrive pas à croire qu'on ait réussi à récolter autant de bonbons.

Fière d'elle, elle agita son tote bag Adventure Time sous le nez de Yann. Il éclata de rire.

— Axel, y'a seulement deux boîtes de smarties et une sucette bon marché.

Loin de se démonter, elle bomba le torse et sortit la sucette en question, saveur cerise, sa préférée.

— C'est toujours mieux que rien.

Le zombie croisa les jambes et déballa tranquillement sa sucette. Le silence s'installa entre elle et Yann, mais il ne s'agissait pas d'un silence pesant ou gênant. Au contraire. Ils profitaient de cet instant de calme. Axelonnie s'adossa contre le banc où ils étaient assis et admira un instant la lune à moitié pleine.

— C'est calme ici.

La sucette en bouche, Axelonnie se contenta de hocher la tête. À part de rares passants, il n'y avait pas grand monde pour traverser ce square. Elle s'attendait à davantage de circulation,  mais il était déjà tard. Yann bâilla. Il en profita pour s'étirer et glisser un bras autour des épaules du zombie. La combine l'amusa tant ce n'était pas subtil. Elle retira sa sucette, se tourna pleinement vers lui et lui fit une pichenette sur le nez.

— Aïe.

Ils rirent ensemble alors qu'il frottait son appendice endolori.

— Si tu te demandes pourquoi, c'est à cause de ta tentative bidon de me dragouiller. On est plus au lycée, Yann. On a passé l'âge de tourner autour du pot.

Cette simple phrase suffit à déclencher un sentiment d'espoir chez lui. L'espoir de voir leur idylle renaître de leurs cendres. Axelonnie espérait qu'il rebondisse sur sa déclaration pour la charrier sur son âge. Yann aimait lui rappeler qu'elle était son aînée de quatre mois. Quatre petits mois qui la relayaient au rôle de « vieille ». Il n'en fit cependant rien, préférant approcher sa main du visage décomposé d'Axelonnie. Il suspendit son geste en la voyant sursauter. Il se résigna et tapota gentiment le crâne d'Axelonnie comme le ferait un grand frère. Puis de nouveau le silence, gênant cette fois-ci. Chacun contemplait une partie du square, jusqu'à ce qu'Axelonnie use de sa 3G pour mettre en route la musique Thriller de Michael Jackson.

— Non... tu ne vas pas oser...

Il connaissait pourtant déjà la réponse. Pleine de malice, elle lui refourgua sa sucette et quitta le banc. À quelques mètres de lui, elle se lança dans la chorégraphie de Thriller. Depuis toute petite, Axelonnie était fascinée par ce clip et la danse qui lui était associée. Depuis toute petite, Axelonnie reproduisait cette chorégraphie en matant inlassablement le vidéo-clip. Elle ne s'arrêta qu'en entendant son téléphone portable sonner. Sous cette couche de maquillage, il était impossible de voir le teint d'Axelonnie blêmir, mais Yann vit sa bonne humeur se décomposer. Il comprit aussitôt sans pour autant s'empêcher de poser la question. Ne serait-ce que pour l'inciter à se confier.

— C'est Samantha, n'est-ce pas ?

Les yeux soudainement humides et la boule au ventre, Axelonnie osait à peine bouger et encore moins parler. Elle fit néanmoins l'effort de hocher la tête. La voir dans cet état lui brisait le cœur et surtout, il pouvait sentir la colère lui chauffer le sang. Sa rage contre Samantha s'amplifia en entendant Axelonnie renifler brièvement. Il lâcha un soupir contrarié et rejoignit Axelonnie. Protecteur, il la prit dans ses bras, mais elle se recula, un sourire peu convaincant sur les lèvres.

— Ne t'en fais pas, ça va. Mais j'aimerais bien rentrer, si ça ne te dérange pas.

— Bien évidemment que non. Je te raccompagne.

Axelonnie ne pipa aucun mot... ce qui s'avérait inquiétant lorsque l'on connaissait sa nature bavarde. Un vrai moulin à parole. Yann se décida à briser le silence, essayant d'obtenir des informations sur la situation d'Axelonnie.

— Elle continue de te harceler ?

Son inquiétude culpabilisait Axelonnie. Il était si gentil, si prévenant et attentionné... À chaque fois qu'il se montrait aux petits soins avec elle, elle éprouvait de la honte de l'avoir ainsi abandonné quelques semaines avant la date de leur mariage. Surtout pour Samantha. Pour autant, Yann ne lui en a jamais vraiment tenu rigueur, n'espérant qu'une chose : pouvoir un jour reprendre son histoire avec la blondinette.

— Elle n'accepte pas très bien notre rupture...

— Tu veux que j'aille lui parler ?

Axelonnie se sentit submergée par une vague de froid à cette perspective. Les yeux écarquillés, elle secoua vivement la tête.

— Non, surtout pas, ça envenimerait la situation. Elle finira bien par se calmer un jour.

Ils n'en étaient guère convaincus, mais aucun des deux ne le souligna. Un vent frais s'anima soudainement leur arrachant quelques frissons.

— Tu loges toujours à l'hôtel ?

— Oui, qu'elle avoua, honteuse.

Terrifiée par les visites impromptues et violentes de Samantha, Axelonnie s'était résignée à trouver refuge dans une chambre d'hôtel.

— Tu peux t'installer chez moi si tu veux.

— Yann, c'est gentil, mais ça va aller. Je peux gérer la situation toute seule.

— Il est là le souci, t'es un peu trop isolée à mon goût. À part moi... avec qui tu peux parler de ça ?

Il touchait une corde sensible, il le savait parfaitement bien. Petit à petit, Samantha était parvenue à la couper du reste du monde. Ou presque. Elle gonfla ses joues d'air et expira longuement. Yann comprit que la question l'agaçait et qu'elle n'y répondrait pas. Il n'insista pas plus, ne désirant pas la braquer. Ils continuèrent donc le trajet en silence. Une fois devant l'hôtel, ils se firent la bise et Axelonnie retrouva le cocon douillet de sa chambre d'hôtel.

Pressée de se démaquiller et de se glisser sous la douche, Axelonnie retira sa paire de chaussures avant même d'actionner la lumière du salon. Lorsqu'elle le fit, un cri franchit la barrière de ses lèvres. En plein milieu de la salle, installée sur le canapé, se trouvait une Samantha visiblement mécontente.

— T'étais où ? Je t'ai attendue toute la soirée.

Où que tu sois... je te retrouveraiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant