Chapitre 16

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Au fil des années le paysage urbain de Nancy avait changé. Des changements infimes, souvent des boutiques qui avaient fermés leurs portes pour céder la place à de nouveaux commerces. Toujours était-il qu'Axelonnie ne connaissait plus aussi bien la ville qu'autrefois contrairement à Maxime. Il usait de ses grandes jambes pour se déplacer avec aisance et Axelonnie se contentait de le suivre, légèrement en retrait. Le sorcier se montrait mystérieux, avare d'informations. En une heure, elle n'avait guère découvert grand chose. Pour la soirée à laquelle il l'avait convié, il lui avait demandé si par le plus grand des hasards elle possédait une robe digne de ce nom. Pour toute réponse, Axelonnie avait ouvert sa valise sous le regard exaspéré de Maxime. Non seulement elle laissait ses affaires pourrir dans le fond d'une valise mais en plus de tout cela, elle ne possédait aucuns vêtements de grande marque. Un comble, d'après lui. Il n'avait d'autres choix que de la traîner dans les boutiques nancéiennes pour lui trouver une tenue. Axelonnie n'osa rien répondre mais cette situation la mettait dans l'inconfort. Comment avouer que son compte en banque ne lui permettait aucune folie de ce genre? Issue d'une famille riche, élevée dans les hautes sphères parisiennes, admettre son découvert écrabouillait son égo à coup de louboutin.

Le sorcier s'enfonça dans une petite ruelle aussi discrète que banale. Dans les entrailles de la ville, cachée à la vue des cartes de crédits impures et appauvries, siège une boutique à la devanture simpliste mais décorée avec goût. Axelonnie leva les yeux et lu "Stella créations".

— Drôle d'endroit pour une boutique de fringues, vous ne trouvez pas?

Maxime lui décrocha un sourire énigmatique alors qu'il sortait un paquet de cigarettes de son costard. La blondinette grimaça aussitôt. En plus d'être désagréable, il s'encrassait inutilement les poumons.

— Pour vivre heureux, il faut vivre caché.

— Je ne suis pas certaine que ça soit applicable pour les commerces.

En guise de réponse, il haussa les épaules et alluma sa cigarette. En le voyant agir, une question traversa aussitôt l'esprit d'Axelonnie.

— Pourquoi vous utilisez un zippo pour votre cigarette? Vous êtes capable d'enflammer la manette de J-C. mais pas votre sucette cancérigène?

Des questions. Toujours des questions. Elle ne s'arrêtait jamais. Maxime tira une latte et la savoura pleinement. La nicotine, avec un peu de chance, parviendra à lui calmer les nerfs. Jean-Christopher avait mentionné bien des détails mais étrangement, n'avait pas jugé bon de préciser qu'elle ouvrait constamment la bouche.

— Je maîtrise l'électricité, pas le feu.

Bien que "maîtriser" restait un grand mot. La vérité étant qu'il ne contrôlait en rien ses capacités. Une honte, d'après le Grand Conseil. Un véritable déshonneur d'après son père récemment défunt.

— Maintenant si voulez bien, j'aimerais terminer mon affaire en paix. Rentrez donc à l'intérieur en attendant, Stella prendra bien soin de vous. Ne vous inquiétez pas.

Ne pas s'inquiéter? Difficile. Axelonnie angoissait par avance pour son compte en banque mais aussi, et surtout, pour la soirée dont il était question. Pourquoi tant de manières? Elle gonfla ses joues, agacée. Maxime haussa un sourcil. Ce n'était pas la première fois qu'elle pratiquait cette étrange manie. Il s'apprêtait à commenter sa face de poisson-globe mais elle se décidait enfin à rentrer dans la boutique.

Une petite cloche tinta à son entrée. Une forte odeur de parfum emplissait le magasin. En soit l'odeur n'était en rien désagréable mais à forte dose, elle donnait des maux de crâne à Axelonnie. Elle pria pour ne pas s'éterniser dans cette boutique. Une brune perchée sur des talons d'au moins dix centimètres arriva. Son sourire si accueillant et prévenant s'estompa en voyant la blondinette. Suspicieuse, elle fronça les sourcils et détailla Axelonnie de la tête aux pieds.

— Vous avez besoin d'aide pour retrouver votre chemin?

Une voix rocailleuse mais sexy s'échappait de cette bouche mise en valeur par un maquillage discret. Axelonnie fut incapable de cacher sa surprise, tant par ce comportement que par cette voix puissante. Cette femme de même pas trente ans dégageait un charisme époustouflant. Elle occultait complètement le dédain de cette vendeuse à son encontre, charmée par ce teint légèrement caramel, cette longue chevelure brune aux boucles parfaitement dessinées. Une crinière de princesse. Le regard de la blondinette s'attarda sur les yeux de Stella, un magnifique dégradé de couleurs. Noisette en leur centre pour devenir de plus en plus émeraudes vers les extrémités. Tout à sa contemplation, elle fut incapable de répondre, bouche-bée par cette beauté venue d'un autre monde. Axelonnie n'entendit même pas la cloche tinter de nouveau.

— C'est pour une robe. Elle m'accompagne à la fête des cents ans.

Stella bascula son poids sur une jambe et ancra son poing sur une hanche. Incrédule, elle se permit une nouvelle fois de détailler la blonde qu'elle qualifierait volontier de serpillère. Des boucles blondes à peine coiffées, un teint aussi pâle que la cuvette d'une toilette mais des cernes bien prononcées, Axelonnie n'apparaissait pas sous son meilleur jour toutefois, elle ne manquait pas de charmes avec son petit nez et ses yeux clairs.

— Maxime, mon choux, t'es bien mignon mais t'afficher avec elle ne va pas t'aider à gagner les faveurs du Conseil.

— Je le sais bien mais je ne suis pas ici pour tes bons conseils.

Puis un détail le frappa soudainement. Certaines informations venaient d'être lâchées et Axelonnie n'avait posé aucunes questions. Trouvant cela étrange, il se tourna vers la blondinette et réalisa qu'elle était totalement absente de toute réalité. Elle fixait Stella, un sourire béat aux lèvres. Maxime se pinça l'arrête du nez et reporta son attention sur la vendeuse.

— Peux-tu bien, s'il te plaît, te calmer sur tes charmes de sirènes?

Espiègle, elle haussa vaguement les épaules.

— Nous sommes en période de pleine lune, tu sais bien que c'est toujours plus difficile de se contrôler.

Malgré tout, Axelonnie sortit de sa transe. D'abord déboussolée, elle sursauta en constatant la présence de Maxime à côté d'elle. Quand était-il entré?

— J'ai râté un truc?

— Rien d'important, l'assura Stella.

De sa démarche féline, elle s'approcha d'Axelonnie et lui attrapa gentiment le bras pour la guider dans une cabine d'essayage. Sur ce trajet ridiculement court, Axelonnie trouva le moyen de la bombarder de questions mais la sirène l'ignorait totalement.

— Attends-moi ici la serpillière, je vais te chercher quelques modèles.

— Comment que vous m'avez appelé?

La question ne trouva pas de réponse, la sirène avait déjà fermé le rideau. Elle alla fouiner dans une rangée de robes et très vite, Maxime vint la rejoindre.

— Tu lui as dit en quoi consistait cette fête, au moins? chuchota la sirène.

Par réflexe, il jeta un regard en direction de la cabine, de peur qu'Axelonnie en sorte et ne les entendent.

— Non, pas encore.

Elle secoua la tête, désapprobatrice alors qu'elle s'empara d'une robe bleue électrique.

— Maxime, tu ne peux pas l'y emmener. Tu l'as senti comme moi, n'est-ce pas. Elle n'est pas entièrement humaine.

Nerveux, le sorcier jouait avec son zippo.

— Elle a besoin de réponses et elle ne les trouvera qu'à cette soirée.

— Autant la balancer dans la gueule béante du loup. Ses questions en valent la peine?

Il hésita.

— Je n'en sais encore rien.

Stella lâcha un soupir. Elle décrocha plusieurs robes tout en gardant le silence. Depuis le temps, elle avait appris à se mêler de ses affaires.

— Je vais attendre longtemps? s'écria soudainement Axelonnie à l'autre bout du magasin.

Où que tu sois... je te retrouveraiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant