Chapitre 7 L'Oritis ( partie1)

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Thys se dressa docilement, attrapa son sac et commença à ranger ses affaires.

— Laisse tout cela comme ça et suis-moi vite, l'enjoignit Téodor. On a pris du retard.

Ils se dirigèrent jusqu'au centre du petit replat. Le Maître fit halte près d'un frêne solitaire dépouillé d'une grande partie de ses feuilles. Il scruta les alentours et dit :

— C'est bien là, nous y sommes !

— Là ?

Thys resta pantois, il n'y avait rien d'exceptionnel, là ! Pourtant Téodor Lux se frotta les mains, l'air satisfait. Il fit quelques gestes lents et précis, puis tendit la paume devant lui, à la droite du frêne. Il semblait palper l'air, s'attardant plus longuement à la hauteur d'une branche noueuse qui finissait par cinq ramilles comme une paume ouverte vers le sol. Thys vit soudain les doigts de Téodor se crisper et saisir l'insaisissable. Il n'y avait rien. Pourtant son modulateur de l'Oritis paraissait empoigner l'air ambiant. Un fort grésillement crépita entre la branche et le sol. Les couleurs et les formes vibrèrent à cet endroit comme si l'image se brouillait. On aurait dit que Téodor tenait un rideau de paysage, la vision se déformait dans une zone d'un mètre carré et les contours prenaient des courbes différentes. En même temps, la luminosité changeait et devenait plus aveuglante comme un rayon de soleil renvoyé en écho sur un miroir à facettes chamarrées. Le phénomène avait lieu uniquement sous cette branche de frêne.

— Je l'ai ! Allez, Thys ! Faufile-toi par-là, c'est ton Ouverture. Que les âmes glorieuses des Ethers soient avec toi ! Quand tu auras reçu l'Oritis, tu pourras revenir par le même chemin ! Courage !

Tout en gardant son bras tendu pour maintenir le passage, le Maître le poussa vers cette embrasure immatérielle. Thys n'eut pas le temps de réfléchir, Téodor lui donna une dernière impulsion et le garçon atteignit la zone déformée. Sa vue se brouilla et il eut la vague impression d'être caressé par une multitude d'ailes de papillons. Il entendit un léger « ploc » et comprit qu'il venait de franchir l'Ouverture de l'Oritis.

Il était de l'autre côté. L'autre côté de quoi ? Il ne savait pas, mais le lieu était différent tout en étant le même. Maître Lux n'était plus là, par contre le frêne et les bosquets environnants étaient identiques à ceux qu'il avait côtoyés peu de temps auparavant.

Seules les teintes et l'atmosphère différaient. Le paysage offrait toute une palette de nuances de vert et de bleu. Une lumière vive, mais pas agressive, inondait le site, mettant en valeur par-ci, par-là tel arbre ou telle roche. Un léger voile vaporeux s'accrochait par endroit au sol ou s'élevait gracieusement pour contourner les obstacles dans un souffle paisible. Les sons de la nature semblaient adoucis, pourtant leur vibration était nette et précise.

Différentes odeurs émanaient de la Terre en délicats fumets. Thys, bouche bée et les yeux plus qu'écarquillés, essayait de faire accepter à son cerveau cet univers insoupçonné de sensations subtiles. C'était fou, inconcevable, il voyait un monde nouveau, une sorte de réalité parallèle.

Après un long moment d'immobilité, il tenta enfin un pas sur le sentier parsemé de feuilles mortes et craquantes. Se déplacer paraissait bien plus facile que d'habitude, il avait un peu l'impression de flotter comme s'il ne pesait pas plus qu'un souffle. Enhardi, il s'aventura plus loin, respirant à pleins poumons ces sensations étranges. Il osa même effleurer la brume à ses pieds, elle laissait une sorte de voile chaud et éphémère sur la peau. Longtemps, il observa, toucha, renifla, huma, écouta. Ainsi c'était donc ça l'Oritis ? Pas de difficulté ou de douleur comme le lui avait signalé le Maître. Bien au contraire !

Thys, l'éveil des Ostendes  (Tome I) [ Terminé ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant