Chapitre 3 Cohabitation

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La cohabitation avec Téodor Lux commença douloureusement pour Thys. Il se sentait persécuté par les yeux incisifs du Maître et était mal à l'aise dans toutes les pièces de la maison, percevant la présence envahissante du petit homme.

Pourtant celui-ci était très discret, il parlait peu et ne faisait guère de bruit. Ses chaussures de cuir souples semblaient à peine effleurer le sol lors de ses déplacements. Il pouvait passer de longues heures dans le salon à lire ou à annoter de gros volumes qui paraissaient ancestraux. Parfois, il partait s'isoler dans le bois, s'évaporant au sein des arbres.

Mais Thys le croisait partout. On aurait dit que ce Maître Arcan possédait le don d'ubiquité. Quand le garçon se croyait seul dans le salon, Téodor Lux surgissait dans son dos le toisant d'un air sévère et sortait sans un mot laissant derrière lui une atmosphère pesante. Si Thys voulait s'entraîner à marquer des buts dans la cour de graviers, il s'apercevait, après deux ou trois shoots réussis, que le Maître se tenait droit comme un « i » contre le muret d'entrée et ne le lâchait pas des yeux. Même dans la chambre de Mélia, Thys n'était pas parvenu à échapper à sa présence. Alors que les deux jeunes gens chuchotaient moulés dans l'édredon, ils avaient sursauté en trouvant soudain Téodor Lux au pied du lit, une lettre à la main. Toujours avare de paroles, il avait tendu le courrier à Mélia et s'était éclipsé après avoir dévisagé Thys. La lettre venait de grand-mère Tournelle et les jumeaux ne surent jamais comment elle avait atterri dans les mains de l'envahisseur.

Le dimanche matin, alors que Thys prenait une bonne douche chaude, pour évacuer le stress dû à la présence du Maître et surtout à l'imminence de l'Oritis, il ressentit un curieux tiraillement dans la nuque, puis ses mains se mirent à fourmiller. Au même instant, l'eau ralentit sa course et l'air devint plus frais. Le cœur de Thys s'emballa, il se passait quelque chose d'anormal. Avant qu'il n'eût le temps de comprendre ce qu'il lui arrivait, un souffle glacial s'enroula autour de son torse et remonta le long de son cou pour s'infiltrer par sa bouche et ses narines. Il hoqueta en ayant l'impression que ses poumons se figeaient et devenaient deux blocs de glace. Il se força à tousser pour expulser la sensation, puis il coupa l'eau et sortit rapidement de la douche.

Aussitôt, la chaleur réinvestit la pièce et tout s'apaisa. Thys toussa encore à plusieurs reprises et prit trois longues inspirations pour dissiper le trouble qui l'avait envahi. Il se sécha mal, enfila difficilement ses habits sur sa peau mouillée et quitta précipitamment la salle de bain pour rejoindre sa sœur. C'était la première fois qu'une sensation le foudroyait dans la maison. C'était peut-être l'Appel dont Téodor Lux avait parlé !

La chambre de Mélia était silencieuse. Thys ne la vit pas tout de suite, mais il entendit le petit sifflement désespéré. Alors, il l'aperçut, allongée au pied du lit, immobile, le regard implorant, essayant d'inspirer et s'étouffant.

— Maman, Maman ! Mèl a un malaise ! Vite !

Comme à son habitude, Téodor Lux sortit de nulle part et se précipita sur le corps de la jeune fille qui bleuissait. Il l'observa sans bouger, fixant le visage suffoquant de Mélia. Thys crut devenir fou. Que faisait ce bonhomme ? Il la regardait mourir comme ça, sans rien faire !

— Maman ! Vite ! hurla-t-il, complètement paniqué.

Mélia hoquetait. Toujours présent, le maître Arcan souleva délicatement le visage de la jeune fille et palpa son cou, son front, sa nuque. Ses gestes étaient lents et exaspérants. Thys bouillonnait de rage, mais ne parvenait pas à agir, tétanisé par l'angoisse.

Sylvie Ano arriva enfin, blême, échevelée, suivie de Tantine tout aussi affolée. Elles fixèrent le petit homme étrangement calme aux côtés de la jeune fille. Mélia retrouvait son souffle et reprenait un peu de vie. Téodor Lux se releva, toisa Thys et disparut d'un pas léger dans le couloir laissant la famille se remettre de ses émotions. Mélia toussa quelques minutes, hoqueta encore pour regagner une respiration régulière. Puis, elle essaya de se redresser. Thys, honteux de ne pas avoir été capable d'agir pour secourir sa sœur, se précipita pour au moins l'aider à s'asseoir. Elle était plus pâle qu'à l'ordinaire, des marques sombres soulignaient ses yeux rougis.

Thys, l'éveil des Ostendes  (Tome I) [ Terminé ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant