Chapitre 18 Le trop-plein

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Au petit matin, Thys, la tête ensommeillée, s'activait à préparer ses affaires. Ni le chocolat chaud qu'il avait ingurgité en bâillant devant les céréales ni la giclée d'eau fraîche dont il s'était aspergé le visage n'avaient réussi à le vivifier. Il avait même failli oublier sa plume et son écorce. Pourtant, le moment où il caressait et glissait ses deux talismans dans la poche arrière de pantalon était devenu le rituel du début de matinée.

Il arriva tôt au collège, car son père qui le conduisait devait se rendre par la suite à un colloque d'ornithologie à Paris pour aborder, entre autres, la préservation des oiseaux des bois. Thys était tellement en avance qu'il était le premier dans la cour. Quelle impression étrange de se tenir seul dans ce vaste espace d'habitude encombré d'élèves braillards et de sacs d'école mal rangés ! Il faisait encore sombre et la cour avait même un aspect sinistre avec son unique arbre, un frêne au tronc fort et aux branches nues.

Thys, désœuvré, sautillait sur place pour se réchauffer et s'entraîna à expirer la plus grosse tâche de vapeur possible dans l'air froid. Il ne vit pas Briac arriver, mais le sentit. Quelques picotements s'installèrent dans sa nuque et il éprouva un grand frisson qui lui secoua tout le dos. Instinctivement, il fit volte-face et repéra une silhouette qui venait à sa rencontre. Briac Le Tallec arborait son éternel sourire amical. Il marchait avec aplomb et semblait tellement à l'aise dans son blouson Adidas que Thys se ratatina inconsciemment sur lui-même.

— Salut, Thys ! Ça va, mec ?

Briac serra la main froide et mal assurée de Thys avant de lui envoyer une tape virile dans le dos.

— Bien, bien Briac et toi ?

Thys avait un peu vacillé sous l'accolade du nouvel arrivant et il essayait maintenant de reprendre contenance, en lui adressant un sourire crispé qui se voulait naturel.

— Je vais bien, je suis en plein préparatifs avec mon père, j'espère que l'on sera prêt pour samedi, il y a un paquet de monde prévu. Ça tient toujours pour toi et ta bande ?

— De... quoi ?

Thys avait la bouche sèche, le cœur qui battait à contretemps et un début de nausée, mais Briac, dans toute sa superbe, ne semblait rien remarquer.

— Ma fête d'anniv, t'as pas oublié ?

Une légère ombre passa sur le visage du fils Le Tallec.

— Oh ! Non, non, bien sûr, je serai là !

Le jeune Éther avait l'impression de perdre ses repères, il ne voyait plus que l'iris noisette de Briac qui l'hypnotisait.

— Cool, cool ! prononça lentement son interlocuteur sans le lâcher des yeux. Bon, je te laisse, j'aperçois Diana qui arrive, j'ai deux mots à lui dire. À plus !

Dès que Briac se fut éloigné de quelques mètres, Thys prit une grande inspiration. Bon sang, ce gars lui faisait à chaque fois un drôle d'effet. En sa présence, il se sentait diminué, fiévreux, amputé d'une partie de sa conscience. En un mot « nul » !

Quelques élèves étaient arrivés et des petits groupes se formaient. L'atmosphère dans la cour était encore intime et paisible si bien que chacun, sans s'en rendre compte, chuchotait quasiment. Cid apparut enfin, sa bouche était camouflée par une écharpe bariolée, un gros bonnet à pompon blanc s'enfonçait sur ses yeux et il héla son ami d'une main gantée. Soulagé de ne plus faire le pied de grue seul, Thys alla à sa rencontre. La confrontation avec Briac l'avait bien secoué, car ses jambes étaient toutes flageolantes et il eut l'impression de se déplacer en titubant comme un homme ivre qui aurait trinqué toute la nuit.

Thys, l'éveil des Ostendes  (Tome I) [ Terminé ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant