Chapitre 9 Mélia

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Thys retrouva facilement l'épais frêne tortueux, son repère du passage entre les dimensions. Il fouilla consciencieusement l'air autour de l'arbre nu et sentit la zone la plus dense. Il s'en empara, écarta un pan d'ondes qui lui chatouilla la paume de la main et dégagea l'issue. Chaque geste était sûr, précis. Un jeu d'enfant.

Avec regret pour ce monde qu'il savait ne jamais revoir, il se faufila dans le passage grésillant. Il ressentit la même compression qu'à l'aller et ressortit de l'autre côté pour se trouver nez à nez avec le Maître Arcan. Celui-ci le dévisagea avec avidité comme lors de leur première rencontre. Sans un mot, il posa ses deux paumes sur le torse du garçon et émit un grognement satisfait. Il souleva ensuite la mèche blonde qui cachait à la fois l'œil et la blessure à la tempe de Thys. Ses gros doigts effleurèrent le morceau de cristal.

— Te voilà un Ether éclairé, tu as réussi, dit-il enfin la moustache toute frétillante.

Thys se laissa manipuler sans réagir. Il n'avait pas envie de parler, il sortait d'un état de transe et se sentait agressé par les sons et la luminosité du plan terrestre. Il suivit son guide en silence, arpentant les sentiers, butant sur les racines et glissant sur les rochers moussus, humides de rosée, jusqu'à la vieille R5 qui attendait fidèle au poste, décorée de feuilles chamarrées. Téodor Lux dut s'acharner de nombreuses minutes sur l'accélérateur avant que le moteur ne se décide à mugir. Le trajet de retour fut encore plus chaotique qu'à l'aller, mais cela n'empêcha pas Thys de sombrer dans un profond sommeil sans rêves dès les premières secondes du voyage.

À son arrivée chez lui, à peine sorti de voiture, il reçut de plein fouet un flot de sourires et de cris de joie. Il vit accourir toute sa famille et quelques amis intimes de ses parents, les uns l'étreignant, d'autres l'embrassant, certains l'étudiant sous toutes les coutures. Mais les visages défilaient devant lui sans qu'il se sente concerné. Il avait envie de dormir. Les voix étaient lointaines, étouffées.

L'unique remarque qu'il fut capable de se faire, c'est qu'il n'avait pas aperçu Mélia. Mais même cette pensée alarmante ne réussit pas à le sortir de sa torpeur. Il se retrouva au lit en pyjama, et sentant bon le gel douche, sans avoir eu conscience d'esquisser le moindre geste. Et là encore, il dormit profondément. Il était seulement quatorze heures et dehors le soleil timide d'automne dardait ses derniers rayons pour veiller sur cette journée hors du commun.

Le lendemain matin, à son réveil, Thys se sentait bien. Il resta un instant immobile sous ses couvertures, blotti dans la chaleur de son propre corps, savourant le silence. Il bâilla bruyamment et étira ses longues jambes, laissant sortir quelques orteils qui tâtèrent la fraîcheur de l'air ambiant. Finalement, il s'assit sur le bord de son lit et ressentit alors des courbatures qui lui tiraillaient le dos et les bras. Des images des aventures de la veille émergèrent timidement dans son cerveau puis se bousculèrent dans un flot tumultueux. Thys porta la main à sa tempe et constata que le renflement dur était toujours là, par contre la douleur s'était un peu atténuée.

Il ouvrit les volets pour respirer la pureté matinale. Il faisait sombre et les coqs des fermes voisines n'avaient pas encore chanté. Une brise secouait agréablement les branches du grand marronnier, libérant de joyeuses feuilles virevoltantes. Thys observa cette nature sur le réveil et huma les senteurs de l'automne quand un bruit familier rugit dans ses entrailles. Il avait faim, son ventre d'ogre adolescent gargouillait furieusement. Il enfila vite une paire de chaussettes propres et passa un sweat bleu délavé par-dessus son pyjama rayé, puis descendit avec précaution les escaliers qui craquaient sous chacun de ses pas dans la maison ronflante.

Seul, dans la cuisine silencieuse, il s'attabla devant un bol de lait et quelques biscottes. Le frigo couvert de magnets commença à ronronner. L'horloge du four marquait cinq heures dix. La vaisselle en faïence séchait ses gros fruits sur l'évier en pierre. Tout lui rappelait un quotidien paisible. Plix, le matou noir de la maison, lui donna de bons coups de tête dans les mollets pour réclamer sa dose de caresses. Mais devant l'inertie de son jeune maître, il se mit à manger bruyamment ses croquettes.

Thys, l'éveil des Ostendes  (Tome I) [ Terminé ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant