Chapitre 16: En ébullition

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Les élèves de 4e A patientaient seuls dans la cour. Un à un, les enseignants étaient venus chercher les autres classes pour la première séance du matin. Mais Madame Berthier, leur professeure de français, n'avait pas encore pointé son nez. Il est vrai que ce n'était pas un modèle de ponctualité. Une bavarde, cette prof-là, elle pouvait disserter à n'en plus finir sur n'importe quel sujet. Il suffisait qu'elle trouve un collègue, un parent, un élève qui lui tende une perche et elle était capable de déverser un flot de paroles inépuisable qui assommait son interlocuteur en moins de dix minutes. C'est Théo qui avait chronométré et Cid qui avait repéré les premiers signes de fatigue des personnes qui suivaient ses monologues : clignements d'œil répétitifs, fuite du regard, fléchissement de genoux, bâillement...

Déjà un quart d'heure de retard, et le surveillant n'était pas là. Livrés à eux-mêmes, les enfants commençaient à s'agiter. Fini le semblant de rang de huit heures. Raoul avait pris de son ballon de foot et essayait de dribbler quand Mustafa, d'un coup de pied adroit, s'en empara. Course poursuite et shoots auxquels se mêlèrent Julien et Théo. Un groupe de filles s'écarta pour encourager Raphaël qui faisait l'athlète perché sur une branche d'un frêne bordant la cour. Cid sortit alors de son cartable sa revue de Games and pro, adressée aux 13-18 ans, et convia Thys d'un clin d'œil à le rejoindre vers les bancs en béton blanc sale, pour éplucher les nouveautés dans les jeux vidéo.

Seuls, Romain et Clarisse restaient rangés devant l'étroite entrée des 4es, l'un en sa qualité de délégué n'osait faillir à son rôle, l'autre parce que l'idée de désobéir ne l'avait même pas effleurée.

Les sixièmes D passèrent devant eux, bien alignés derrière leur prof à l'air pincé, chaussé de grosses lunettes. En même temps, une classe de 3e jaillit dans la cour pour mettre en place un système de mesures de pluviométrie et d'hygrométrie, afin d'établir des graphiques sous la directive de la pimpante Mademoiselle Yessel. Les élèves, complètement excités par ce cours de maths hors-norme, piaillaient et brassaient beaucoup d'air. Ils cherchaient, par groupes, l'emplacement adéquat pour disposer leurs instruments de mesure et ces décisions, simples à l'évidence, amenaient bien des conversations houleuses.

Cid et Thys avaient momentanément abandonné leur revue et se laissaient gagner par l'agitation ambiante. D'un côté, les apprentis météorologues qui furetaient dans tous les coins ; de l'autre, la longue file de petits sixièmes, aux yeux ronds, qui ne perdaient pas une miette de la folie des grands; et au milieu, la classe de 4e A ; les uns courant après un ballon, d'autres perchés sur les arbres.

C'est dans cette joyeuse pagaille que Thys éprouva une nouvelle sensation. D'un seul coup, les élèves qui l'entouraient ne furent plus que des silhouettes floues, puis vaporeuses. Des cercles de couleurs s'agitèrent devant ses yeux, lui donnant le tournis. Une chaleur violente enveloppa tout son corps et le couvrit de sueur. Sa peau tiraillée par de petits tremblements le démangeait.

Un Milvuit ! Thys reconnut instantanément les signes qui l'avaient assailli en cours de maths. Téodor lui avait dit que c'était les symptômes qu'un Éther subissait en présence d'un Milvuit.

Les sensations s'atténuèrent assez vite et Thys survolté chercha son adversaire. Où était-il ? Qui était-il ? Un petit de 6e ? Un élève de 5e B ? Un prof ? Il partit comme une bombe vers la classe de 6e pour voir s'il ressentait quelque chose de plus fort dans cette direction, puis se précipita vers un groupe de garçons en train de prendre des mesures et, enfin, obliqua sur la droite pour percuter violemment Cid. Un frontal !

— Oh ! Speedy Gonzales, T'as un problème ? demanda Cid qui se massait vigoureusement le haut du visage où une tache rouge naissait déjà. Tu cours après qui, comme ça ? Y a Madame Berthier, amène-toi !

Thys, l'éveil des Ostendes  (Tome I) [ Terminé ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant