Chapitre 32 La rencontre

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Cette matinée d'école fut plus dure que les autres, Mélia, qui avait peu dormi, était irritable et elle renvoya vertement Cid et Théo qui venaient pour la énième fois aux nouvelles concernant Thys. Pendant le cours de SVT du professeur Toulard, elle faisait équipe avec Laura pour disséquer une sardine afin d'étudier ses branchies. Ni l'une ni l'autre n'étaient bien vaillantes pour ouvrir les entrailles visqueuses de l'animal. Mélia ordinairement volontaire et active supportait un mal de tête lancinant depuis plus d'une heure, sans nul doute dû au manque de sommeil. Mais elle ne voulait surtout pas que cela se sache, car ses parents avaient demandé à être prévenus au moindre malaise, même tout petit malaise avait insisté Sylvie.

Face à l'œil vitreux de l'animal mort, Laura prenait un air dégoûté, et avançait la paire de ciseaux près de l'opercule qui recouvre les branchies en tremblant. Mais, elle s'arrêtait là à chaque fois et présentait la paire de ciseaux à Mélia qui secouait la tête. Devant la mine pâle de son amie, Laura inspirait profondément et menait une autre tentative. Ce petit manège durait depuis un certain temps quand le visage sec et ridé du professeur Toulard se planta devant les jeunes filles.

— Alors mes demoiselles, qu'attendez-vous ? Ne jouez pas les effarouchées ! Il est mort ce poisson, il ne va pas vous mordre !

— Mais c'est dégoûtant, ça pue ! se plaignit Laura en plissant son petit nez parsemé de taches de rousseur.

— Ces poissons sont tout frais ! Vous mangez bien du poisson parfois et vous n'avez pas peur de lui planter une fourchette dans le ventre ? Allons, mettez-vous au travail, je vous rappelle que cet exercice d'analyse est noté.

— Des chochottes, ces filles, se moqua le gros Guillaume en poussant du coude Romain, tremblant, qui tentait d'extraire la branchie avec une pince.

— Parle pour toi, je ne t'ai pas vu encore le toucher ce poisson, commenta Léonie très à l'aise, ses doigts tripotant les lamelles des branchies qu'elle avait extraites avec zèle.

Le vieux prof laissa dire et sourit découvrant des dents tachées et usées. Mélia était une bonne élève et la menace de la mauvaise note la ravigota. S'armant de tout son courage, elle se saisit du ciseau et entreprit de découper l'opercule pour libérer la branchie tandis que Laura détournait la tête. Mais le poisson ne tenait pas à lui faciliter le travail et sa peau visqueuse le faisait glisser et s'échapper dans les coins du bac de dissection. Mélia dut le maîtriser en appliquant deux doigts sur la chair froide et gluante. Ce contact créa en elle une étrange sensation. Elle sentit un flot de petites bulles lui remonter de l'estomac à la bouche, elle crut qu'elle allait vomir. Mais sa langue se mit à grésiller et ses mains commencèrent à chauffer. Affolée, elle déglutit plusieurs fois pour chasser l'impression de fourmillement dans sa bouche. Mais le malaise perdura. Ses doigts vibrèrent alors et instinctivement comprimèrent le poisson lubrifié qui jaillit d'un coup hors du bac comme propulsé par une fronde invisible et s'encastra sur le tableau noir. Il resta, quelques instants, englué au centre du tableau à côté d'un schéma de branchie sous le regard médusé d'une trentaine d'élèves, puis glissa lentement, retenu par sa chair sirupeuse avant d'atterrir mollement dans le bac à craies.

— Qui ? Qui a fait ça ! s'étrangla le vieux professeur, rouge écarlate jusqu'à la racine de ses rares cheveux.

Laura, qui n'avait rien vu de la scène, regardait tour à tour le bac vide devant Mélia et le poisson vautré en bas du tableau sous une trainée humide.

— Quel est le..., qui a fait ça ! éructa une nouvelle fois le professeur Toulard, cette fois virant au violet, près de l'asphyxie !

— Heu ! C'est moi ! Il a... glissé ! Mélia était rouge cramoisi.

Thys, l'éveil des Ostendes  (Tome I) [ Terminé ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant