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- Cible neutralisée, déclarai-je en regardant le corps disparaître dans les profondeurs du lac.

Je soupirai, et fit signe au conducteur du bateau de nous ramener sur la terre ferme. Je détestais être sur les flots et la sensation d'instabilité du sol, mais je n'avais pas le choix : je devais faire disparaître le corps, et c'était un des meilleurs moyens.

Je raccrochai pour appeler quelqu'un d'autre.

- Gaëtan ? vérifiai-je en entendant la voix de la personne qui venait de décrocher.

- Tu ne reconnais même pas ma voix ? s'offusqua-t-il.

Je secouai la tête. J'allais en entendre parler à mon retour. La voix m'avait semblé plus grave qu'à l'accoutumée, et je comprenais alors que mon ami de toujours venait sûrement de fumer. J'avais d'abord pensé qu'il s'agissait d'une de ses récentes conquêtes masculines, mais je me rappelai que Gaëtan ne laissait personne s'approcher de son téléphone. Moi-même n'y avait que rarement touché. 

- Tu sais que le cigare peut provoquer une impuissance sexuelle ? le taquinai-je.

- Moi, impuissant ? réagit-il au quart de tour. C'est mal me connaître. Tu devrais essayer, une fois.

- Toujours pas intéressée, souris-je en me retenant de lui rire au nez. Enfin bref, j'ai fini mon boulot, je reviens au bar.

- Whisky habituel ?

- Un scotch, grognai-je. S'il te plait.

- Oh, fit-il. Mission compliquée. J'irai te chercher ça. Besoin d'autre chose ?

- C'est déjà assez, répondis-je. J'espère que tu n'as pas détruit le piano, cette fois ?

- C'est arrivé une fois ! protesta-t-il.

- Une fois de trop, ris-je. Tant que tout est entier, ça me va.

Je raccrochai. Nous approchions du rivage, et je remerciai le conducteur en descendant. Je n'avais pas oublié de laisser une liasse de billets pour acheter son silence. Et si la somme ne suffisait pas, j'étais persuadée que la réputation de l'Arcane suffirait à le convaincre de se taire sur ce qu'il venait de voir. Et après nous avoir aidé plusieurs fois, celui-ci savait qu'il n'avait pas intérêt à parler.

Arrivée sur la terre ferme, je retournai vers ma moto, une de mes plus grandes fiertés. C'était une magnifique Harley Davidson dont je prenais le plus grand soin, et ça se remarquait puisqu'elle semblait encore comme neuve après trois ans d'utilisation. C'était un cadeau de Gaëtan après mon entrée dans l'Arcane, quatre ans plus tôt. J'appréciai le doux son du moteur avant de mettre mon casque et de filer vers le bar, qui n'était pas bien loin.

Le bar était ma deuxième plus grande fierté. J'avais racheté le local, qui se trouvait juste en-dessous de mon appartement, et avais tout aménagé. Au début, l'établissement ne payait pas de mines : mes payes étaient irrégulières, je n'avais pas vraiment les moyens et m'obstinai à refuser l'aide Gaëtan. Je travaillai seule aux heures d'ouverture, ne pouvant pas encore embaucher, mais au bout d'un certain temps, l'établissement put prospérer, et c'était vite devenu de manière non officielle le bar attitré de l'Arcane. La plupart des membres y venaient quand ils ne travaillaient pas, et j'avais embauché du personnel pour m'aider à tenir le rythme. En fait, j'avais un employé, et Gaëtan l'aidait parfois à tout gérer pendant mes absences, mais mon meilleur ami n'était pas toujours la plus grande des aides, notamment quand il brûlait mon piano. 

Je garai ma moto et enlevai ma veste en cuir avant d'entrer. Je fus immédiatement saluée par les occupants habituels des tables de l'entrée, puis par mon serveur, un jeune homme joyeux aux cheveux teints en bleu clair, depuis le comptoir. Il m'indiqua où était Gaëtan, mais je me rendis d'abord dans mon bureau pour déposer mes affaires et montai rapidement à l'étage pour me changer. Mon scotch et mon meilleur ami pouvaient attendre deux minutes de plus.

L'Arcane : AbsolutionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant