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Mardi 14 mai 1944 :
7h35

Je marche d'un pas rapide vers mon lieu de travail, en retard pour la énième fois. Heureusement, l'épicerie n'est pas loin de chez moi, et j'arrive rapidement devant sa devanture ancienne. Mais en une seconde, je m'arrête net, hébété par le spectacle devant moi.

Les vitres sont brisées, la façade maculée d'insultes et d'œufs cassés. L'épicerie a été vandalisée. Ce qui m'interpelle d'abord, ce sont ces mots haineux inscrits contre les Juifs sur les murs. Je ne comprends pas ce qui se passe.

Je remarque rapidement Suzanne, en larmes, assise sur les marches devant l'épicerie. Je me précipite vers elle, légèrement paniqué et complètement perdu.

— Suzanne !

À mon appel, elle relève son regard humide du sol. Dès qu'elle me voit, elle se lève précipitamment et se jette dans mes bras, terrifiée. Je suis surpris par ce geste soudain, mais je ne la repousse pas, touché par son désespoir. Elle gémit dans mes bras, et je la console comme je peux, en lui demandant doucement :

— Que s'est-il passé ?

Elle s'écarte de mon étreinte et m'explique difficilement, entre deux sanglots :

— Je ne sais pas. Quand je suis arrivée, le patron essayait d'enlever les graffitis. J'allais l'aider, mais des Allemands sont arrivés.

— Pourquoi ?

— Je ne sais pas.

À ce moment-là, un groupe de militaires sort de l'épicerie, mon patron en leur centre, menotté et couvert de contusions. Je m'écarte légèrement de Suzanne et m'avance, inquiet :

— Patron, que se passe-t-il ?

Son silence et son visage éteint m'inquiètent encore plus.

— Patron ?!

Les Allemands l'entraînent sans ménagement jusqu'à leur véhicule. Je les suis, tentant de les rattraper avant qu'ils ne montent tous dans la voiture.

— Patron, expliquez-moi, je vous en prie.

— Je suis désolé, Yoongi. Prends soin de Suzanne et du magasin. C'est tout ce que je veux.

— Mais pourquoi vous arrêtent-ils ? Que s'est-il passé ?

Suzanne me rejoint timidement, mais trop tard. Les Allemands ont déjà poussé notre employeur dans la voiture. Je m'approche pour tenter de le voir à travers la vitre, mais un soldat me repousse violemment en arrière, me forçant à reculer. Je ne réagis pas, sachant qu'un geste de trop pourrait bien me mener au même sort que lui.

La voiture démarre aussitôt, s'éloignant, nous laissant tous deux impuissants sur le trottoir parisien. Je ne comprends rien à ce qui vient de se passer. Pourquoi l'ont-ils emmené ? Où l'emmènent-ils ?

Suzanne pleure contre mon bras, et tout ce que je peux faire, c'est la serrer contre moi avec compassion. Je ne suis pas plus rassuré qu'elle sur le sort de notre patron, mais je ne veux pas lui montrer mon inquiétude.

Peu à peu, la rue reprend vie, et les passants qui s'étaient arrêtés pour observer la scène retournent à leurs occupations. Un couple âgé passe près de nous, échappant des remarques haineuses sans la moindre discrétion :

— Cette épicerie aussi est fermée.

— Oui, il paraît que le patron est juif. Les Allemands viennent de l'arrêter.

— Tant mieux, on n'a pas besoin de gens comme ça en France. Au moins, les Allemands sont utiles pour chasser les nuisibles.

Face à ces paroles antisémites, je me détache brutalement de Suzanne, sous son regard inquiet, et me tourne vers le couple qui s'éloigne. Je leur crie :

Délivrance ✿ NᥲmgιOù les histoires vivent. Découvrez maintenant