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Département des psychopathes, Willy

Je ne suis pas du genre à me mettre à nu, je déteste sociabiliser. À quoi bon parler si les gens ne vous comprennent pas ? J'ai toujours été plus ou moins comme ça, mais cela s'est empiré il y a dix ans, l'année de mes huit ans.

Avant, de temps à autres et dans n'importe quel endroit, on nous disait que les femmes étaient le sexe faible. C'était l'excuse qu'on nous rabâchait continuellement pour se donner bonne conscience quand elles étaient traitées de façon différente, que ce soit au travail ou dans la rue. Une fois, je n'ai pas été du même avis qu'un groupe de jeune, je me suis vite retrouvé dans une situation compliquée. Très compliquée. J'en suis ressorti avec une tête bien gonflée et des ecchymoses un peu partout.

Depuis tout a changé. Vraiment tout.

À présent, nous n'avons plus le droit de débattre. Il vaut mieux garder ses opinions pour soi. C'est ce que j'appelle le jeu du chat et de la souris. Seulement, depuis tout ce temps que je suis sous cette « dictature matriarcale », j'ai complètement changé d'avis. À présent, je ne les défends plus, bien au contraire.

Ma colère a radicalement changé de camp.

Dans ce pays qu'est Belgh, la vie continue comme si tout était normal et aujourd'hui est une journée comme les autres, où je me rends en cours comme toutes les semaines passées.

Il y a dix ans de ça, je ne savais pas que nous allions franchir un tout autre cap. Je ne pensais en aucun cas que le monde puisse un jour s'effondrer ainsi. Qu'il se produirait des tas d'événements qui changeraient le cours du temps, sans qu'on ne sache comment faire pour tous les éviter. Nous avions tout prédit, même les pires des catastrophes à la Hollywood, mais pas ça.

Peut-être que les hommes de cette période ont pris les choses beaucoup trop à la légère. Que les femmes avaient tellement souffert, que cette fameuse année a été celle de trop. Peut-être qu'elles en avaient marre d'être martyrisées par tous ces hommes, subissant en plus de ça leur orgueil. Qu'elles n'étaient pas assez reconnues pour tout ce qu'elles accomplissaient, que ce soit dans le foyer, mais aussi au travail.

Quoi qu'il en soit, leur révolte a continué à bouleverser le monde juste après cette pandémie qui a donné l'avantage aux femmes. Nous étions considérés comme le sexe fort, néanmoins beaucoup n'ont pas survécu à ces deux événements. En ces temps de crise, le monde partait carrément en vrille et plus qu'on ne pouvait l'imaginer.

Dorénavant, chaque pays, chaque ville est retranchée. Les voyages n'existent plus. Les échanges avec le monde se font par des camions de transport et par cargos pour la marchandise pour le reste, tout repose sur la visioconférence. Chacun des pays dépense son argent comme bon lui semble, mais gare aux dettes, car ils n'auront personne pour les aider.

L'Europe d'avant est donc aujourd'hui dissoute, ceci depuis huit ans. C'est une des grandes décisions prise juste après la propagation du virus provoquant des millions de morts au-delà de nos frontières. Les magasins, petits et grands, les supermarchés, tout cela a été réorganisé de manière différente, dorénavant tout se fait par drive ou par livraison. Ce qui n'a pas évolué, ce sont les écoles. Elles, elles sont restées debout. C'était sûrement nécessaire, mais elles ont grandement changés. Les garçons d'un coté et les filles d'un autre.

J'entends soudain la sonnerie retentir dans mes oreilles effaçant avec fracas de ma tête les images de mon quotidien d'avant. Mes souvenirs s'évanouissent donc afin de laisser place à une salle lugubre ou une vingtaine de types comme moi se réveillent difficilement. Dépité, fixant quelques minutes le plafond gris et poisseux de mon dortoir, je me lève à contre-cœur pour entamer une énième et longue journée.

C'est bientôt l'hiver, ça se sent. Il fait froid même si le soleil est présent, mais celui-ci ne m'aide pas pour autant à embellir ma journée, ni à me rendre un brin optimiste.

Je file déjeuner et me traîne en classe avec pour seuls camarades ceux de mon département, les psychopathes, avec qui je partage mon dortoir. Pourquoi psychopathe ? Parce que nous avons tendance à se laisser un peu trop vite emporter par nos émotions et ce n'est pas beau à voir, surtout quand nous sommes poussés dans nos retranchements. Certains se moquent même de nous en nous appelant les Verts. Pas rouge, mais vert, pour faire référence à nos anciens héros oubliés, au profit des héroïnes. Avec Hulk, nous ne sommes pas tombés sur le plus sexy, mais j'en suis fière malgré tout, car c'est le seul qui nous reste en mémoire.

Je m'installe au fond de la classe, comme à mon habitude. En entrant, je remarque en même temps que mes acolytes, que ce n'est pas notre professeure habituelle. C'est même l'exact opposé, visiblement on va se taper une vieille cette année.

Avant, c'était une femme d'une trentaine d'années dotée d'une belle chevelure rousse qui ondulait à la perfection. Son regard bleu à se rendre presque aveugle, réussissait à capter l'attention des élèves. Elle était plutôt cool et ce n'est pas donné par les temps qui courent.

À présent, nous nous retrouvons avec une femme d'un âge avancé. Celle-ci doit avoir environ une soixantaine d'années à première vue. Contrairement à l'ancienne enseignante, elle porte une combinaison militaire et détient une arme à feu. Une arme bien mise en avant, accrochée à sa ceinture. Cette femme ne se départit pas de ce regard noir qui nous fusille tous métaphoriquement.

Je veux lui tenir tête, alors je la fixe de mon regard noisette le plus impassible que je peux, sans pour autant détourner les yeux ni même les cligner. Elle finit par se rendre compte de mon affront. Je suis du genre à ne pas me laisser marcher dessus d'habitude, ma grande corpulence et ma musculature que je tente d'entretenir difficilement m'avantage assez bien, mais je dois avouer qu'elle m'intimide aisément, seulement, je ne dois pas montrer une quelconque faiblesse.

Deux autres femmes pénètrent en trombe dans la classe, elles aussi ont un habit militaire et une arme à feu chacune. Je me demande ce qu'elles ont aujourd'hui, car elles semblent à la fois excitées, mais tout aussi angoissées par quelque chose. Je le sens rien qu'en observant leurs regards qui les trahissent. J'imagine que leurs cœurs doivent pomper à toute allure, c'est la seule défaillance qu'elles conservent malgré elles.

Subitement, les deux nouvelles tirent un coup en l'air à travers la salle. Dans un effet de panique, tout le monde se jette sous sa table, afin de s'abriter. Heureusement pour nous, c'était des balles à blanc. Cette mascarade a failli avoir raison de moi.

– Tout le monde s'assoit et la ferme ! crie une des deux femmes. Nous avons une information capitale à vous transmettre : demain soir, vous devrez vous rendre dans le gymnase. Suite à cela, nous ferons l'inspection de votre dortoir, de fond en comble ! ajoute-t-elle, en insistant bien sur chaque mot. Je tiens à vous prévenir : n'essayez pas d'accourir dans le but de dissimuler ce que vous avez à cacher. Cela ne vous servirait à rien, les dortoirs sont actuellement surveillés par les sentinelles et ceci jusqu'à nouvel ordre.

– Si l'un de vous manque à l'appel ou n'est pas au gymnase à l'heure tapante, qui est de dix-neuf heures trente, les conséquences pourront être terribles pour son département. Croyez-moi, votre petite liberté va se rétrécir au fil des jours et ceci jusqu'à que l'un d'entre vous daigne nous dire quel genre de trafic il se trame entre vous et les trois autres ailes.

Il ne manquait plus que ça...

La Bête HumaineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant