La Bête Humaine

19.

Chris, dans les sous-sols de Gloria à 12h21

Dane, un traître ? Impossible ! Il n'a pas pu nous faire ça. Il ne peut pas nous laisser en plan au beau milieu de Gloria et se mettre lui-même à l'abri de tout ?

Dans tous les cas, c'est ce que Willy et Brian pensent, mais c'est ce que je m'efforce à ne pas croire. Je n'y crois pas tout simplement parce qu'il a fait tout cela pour nous, pour nous sortir de ce merdier, pour nous emmener à une vie plus agréable et paisible au-delà de Belgh, à Alibi.

Je crois fort au destin et je pense que ce n'était pas notre jour, malheureusement. Maintenant, on se retrouve tous les trois enfermés dans les égouts de Gloria. À tout moment, nous pouvons être amenés à quitter cet endroit pour être rapatrié à Culpa, ou pire, jeté dans les prisons sauvages, anciennement des zoos. Avec un peu de chance, lâché à Alibi, mais je n'y crois guère. Ce serait trop beau pour de jeunes ados évadés du lycée, ce serait nous offrir notre souhait sur un plateau d'argent.

Je ne sais pas trop ce que nous allons devenir. Je ne veux pas retourner là-bas, à Culpa, au lycée. Je ne me vois pas recommencer de zéro, ce serait trop dur à supporter, surtout après avoir presque goûté à la semi-liberté.

Et puis mes amis ne m'aident pas non plus à surmonter cette épreuve, ils sont bien trop pessimistes pour l'instant. C'est carrément la pagaille dans ma tête.

Les sous-sols regorgent de mecs comme nous trois. Sûrement des hommes capturés en essayant de fuir ce système dictatorial. Le problème, c'est que nous n'avons pas été emmenés aux prisons sauvages, donc je me demande vraiment ce que les types d'ici deviennent par la suite. Chaque endroit nous réserve un sort propre, ce sont les femmes qui choisissent à leur guise ce qu'elles veulent faire de nous.

Brian revient dans l'espèce de cachot qui nous retient Willy et moi. Blafard, il s'assoit sur l'un des matelas posés à même le sol, alors que la sentinelle referme derrière lui.

- Alors ? Tu as appris quelque chose ? demande Willy, pressé, tu sais où on est ? Qu'est-ce qu'elles veulent ? Elles attendent quoi de nous au juste ?

- Willy, je le retiens, tandis qu'il continue d'affubler notre pote de questions.

- Elles t'ont posé des questions ? Elles vont faire quoi de nous ?

- Willy, s'il te plaît, répété-je, excédé.

- Mais merde, Chris, réveille-toi ! On est coincés ici et tu voudrais que je reste assis bien sagement les bras croisés ? Tu rigoles, j'espère ? Tu as vu où nous sommes ? Tu as remarqué qu'on n'est pas dans le pétrin, mais dans la merde jusqu'au cou ?

- Ce que j'essaie de te faire comprendre, c'est de le laisser tranquille. Laisse-le respirer un peu. Regarde sa tête, il n'est pas bien, tu pourras lui poser toutes ces questions après, mais là... je ne pense pas que ce soit le moment opportun.

À bout de nerfs, Willy laisse tomber sa tirade de questions et tourne en rond dans la cellule, tel un lion en cage.

Ça sent vraiment mauvais. De temps à autre, je vois passer des rats, parfois, je croise le regard de bagnard. Le temps est long et j'ai l'impression que les secondes sont des minutes et les minutes, des heures. Je ne veux pas devenir fou. Il faut que je sorte d'ici c'est ma priorité, et je le dois à Dane qui, je pense, s'est sacrifié pour nous laisser la chance, de notre côté, de réussir à se tirer de cette galère pendant qu'il prépare son plan B de son côté.

Mais ça, c'est ma vision. Et ni Willy, ni Brian ne partagent cet avis. Il faut donc que je les reprenne en main afin de les motiver de nouveau, de les remettre debout, de leur redonner espoir. L'espoir qu'un jour, nous serons enfin libéré de ces chaînes qui nous retiennent contre notre gré.

Peut-être que je me fais des films, peut-être que nous serons juste admonesté et remis entre les mains des sentinelles de Belgh, mais même ça, je ne veux pas. Je n'ai pas enduré tout ça pour retourner à la case départ, quitte à rester ici, je tenterai n'importe quoi afin d'échapper au sort qu'elles nous réservent. Je ne le répéterai jamais assez, je suis déterminé plus que jamais.

- On fait quoi maintenant ? me questionne Willy. Tu es d'accord qu'on ne peut pas rester les bras croisés à ne rien faire ?

- Je ne sais plus où mettre de la tête, mais une chose est sûre, Willy, c'est que je ne veux pas retourner dans ce lycée minable.

- On n'y arrivera jamais, dit Brian, montrant une tache au fer rouge dans la paume de sa main, jamais. On ne s'en sortira pas. Maintenant, nous sommes marqué à vie à cause de lui !

Je n'ai plus d'arguments à avancer. Je ne sais plus quoi dire pour défendre la cause de Dane. Je ne sais pas non plus ce que je dois faire.

Je suis tout simplement perdu et désemparé