Chapitre 3

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Tara

J'évite une anfractuosité et pose le pied sur une grosse pierre. Mon quadriceps se tétanise légèrement. Je m'arrête et lève la tête pour évaluer la distance qu'il me reste à parcourir pour atteindre la plage. J'aurais sans doute dû faire le tour. Jetant un coup d'œil derrière moi, j'hésite. Je peux toujours revenir sur mes pas. Mais j'en ai assez de devoir faire attention à tout. Avant, j'aurais sauté de rocher en rocher sans me poser de questions...

Hum. Pas si sûr... J'aurais surtout eu peur de me blesser et de briser tous mes rêves. Mais je n'ai plus de raison de m'en inquiéter à présent. De tout ça, il ne subsiste plus rien. Plus de ballet. Plus de Royal Opera House. Plus de carrière de ballerine. Plus de projet d'appart avec Matt. Plus de but. Plus d'intérêt. Plus de Matt non plus... Il ne me reste qu'une existence vide. Sans saveur.

L'amertume, la colère et un sentiment d'injustice m'envahissent à nouveau. Résolument, je rajuste l'anse de mon cabas sur mon épaule et reprends ma marche difficile à travers le dédale de rochers.

La nuit précédente, le même cauchemar est revenu me hanter. Depuis mon accident, il réapparaît régulièrement. Surtout lorsque je suis stressée. Je ne devrais pourtant pas être angoissée. Je suis en vacances, sur une île quasi paradisiaque, dans un hôtel super...

Mon pied dérape. Je pousse un cri en me voyant déjà m'écraser sur les pointes acérées des roches. Je parviens néanmoins à amortir le choc avec les mains et me retrouve à genoux. La vache ! Rien de grave heureusement...

On m'empoigne soudain vigoureusement pour me remettre d'aplomb sur mes deux pieds. Mes yeux tombent sur les mains fortes qui emprisonnent mes bras, remontent sur des avant-bras musclés et poursuivent leur course. J'enregistre le tissu tendu sur des biceps athlétiques, des épaules imposantes et un torse large moulés dans une chemise cintrée. Quand je rejette la tête en arrière pour voir la figure de mon ange gardien, mes entrailles frémissent étrangement.

— Ça va ? Vous n'avez rien de cassé ?

Une paire d'iris verts me scrutent avec attention.

Saisissant au vol une foultitude de détails, je le dévisage.

— Euh... Je... non. Merci de m'avoir... aidée..., balbutié-je, encore hébétée.

Un éclat belliqueux remplace l'inquiétude dans son regard. Si ça n'avait pas suffi, la mâchoire crispée du type de l'ascenseur indique sans aucun doute possible qu'il n'est pas du tout, mais alors pas du tout, content.

— C'est quoi votre problème ? balance-t-il. Vous êtes complètement cinglée ou quoi ?

J'expulse l'air de mes poumons. Durant un instant, sans même en avoir conscience, j'ai carrément arrêté de respirer.

— Pourquoi ne pas avoir fait le tour ? reprend-il toujours aussi virulent. C'était vraiment stupide dans votre état.

« Votre état » ? Il vient de prononcer exactement les mots qu'il ne fallait pas. Eh bien, je me suis bien trompée sur lui. Moi, qui hier, ai eu l'impression qu'il ne voyait pas en moi qu'une « invalidité ». Quelle erreur ! Il est bien comme tous les autres.

— Quoi ? Parce que j'ai ce handicap, je n'aurais pas le droit d'aller à la plage ? Je ferais mieux de rester confinée, c'est ça ? me rebiffé-je.

— Ne dites pas n'importe quoi. Vous savez très bien que vous auriez dû faire le tour...

Mais de quoi je me mêle !

— Et si je n'en avais pas envie ?

— Si votre but était de vous casser quelque chose, c'était effectivement la bonne méthode, ironise-t-il.

Juste une nuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant